mardi 23 juillet 2013

Pauvreté, Chasteté, Obéissance

Les religieux prononcent trois vœux : pauvreté, chasteté, obéissance. Souvent on se demande comment il est possible de les vivre... mais au fond, on devrait se demander comment il est possible de vivre sans eux ?

Comme chrétien, nous croyons - c'est-à-dire que nous savons - que la vie est amour, que l'amour est à l'origine de tout, car Dieu est amour. Et en quoi ces trois vœux sont-ils reliés à l'amour ?

Le vœu de pauvreté signifie un dépouillement vis-à-vis des biens, des "choses". Ainsi, ne viendra jamais se mettre entre moi et l'autre un amour désordonné des biens, mais au contraire la pauvreté sera mon protecteur pour ne pas ressentir jalousie envers l'autre dans ce qu'il possède, dureté pour parvenir à tout prix à posséder quelque objet de convoitise que ce soit. Pauvre, j'interdis aux choses d'amoindrir mon amour, d'être un obstacle entre moi et l'autre.

Le vœu de chasteté signifie un dépouillement vis-à-vis des êtres, c'est-à-dire de ne pas être pris par le désir de les posséder, d'aucune manière, ne pas en faire des outils de satisfaction personnelle. Ce vœu est bien trop souvent réduit à sa part sexuelle, alors que bien au-delà de ce périmètre restreint, il s'étend aux moindres rapports avec les autres. Ne jamais utiliser quelqu'un, ne jamais en faire un moyen en vu de satisfaire l'un ou l'autre de mes manques ou de mes pulsions. Il y a une chasteté du couple, pour ne pas réduire l'autre à mes appétits mais bien au contraire construire une relation harmonieuse, à l'écoute du présent. Il y a une chasteté de l'éducateur, et donc des parents, pour ne pas façonner le jeune qui nous est confié suivant nos propres désirs, mais bien se mettre à l'écoute de ce qu'il porte de nouveau, d'original, de mystérieux, qui nous dépasse et nous bouscule, qui prend à contre-pied nos tendances personnelles. Tout ce qui n'est pas source de mort est source de vie. Tout ce qui nous pousse à nous questionner nous permet de nous ouvrir à l'autre. Il y a une chasteté de l'amitié, qui est de ne pas utiliser ses amis, de ne pas avoir des amis sur la seule base d'une utilité, de ne pas s'en considérer propriétaire ni de leur être soumis. Il y a une chasteté du patron, qui est de ne pas considérer ses employés comme des "ressources humaines" - monstrueuse expression de notre civilisation en perte des repères les plus élémentaires -, mais comme des personnes à servir. Il y a une chasteté vis-à-vis de l'étranger, etc. Chaste, je m'interdis de faire des autres des objets, et ainsi je peux les aimer.

Le vœu d'obéissance signifie dépouillement vis-à-vis de sa propre volonté. La première obéissance est l'obéissance au réel, qui signifie accepter ses limites, ne pas se considérer, s'imaginer, se rêver tout puissant et ainsi laisser à l'autre la possibilité d'être, d'exister dans notre monde intérieur. Mais l'obéissance dont il est question pour les religieux est bien celle d'une obéissance formelle au supérieur, d'apprendre à se déposséder face à l'autre de sa propre volonté, pour se libérer même de ce qui nous paraît si essentiel dans notre époque individualiste, afin que notre volonté elle-même soit ouverte à l'autre, et donc à l'amour. Que notre volonté elle-même puisse s'unir à celle de Dieu, car tel est l'amour : l'unification des volontés. Si je considère ma volonté plus importante que celle de l'autre, dans le quotidien le plus immédiat, je pourrai refuser que certains choix se fassent à l'encontre de mes propres décisions, alors que vivre dans l'obéissance à l'autre signifie accepter sa volonté, ne pas être égocentré, attitude difficilement compatible avec l'amour... S'il n'en allait pas d'une conséquence grave, nous devrions obéir en tout temps.

Ces trois vœux participent donc d'un même mouvement de dépouillement pour devenir vraiment libre, retenu par aucune possessivité et ainsi vraiment capable d'amour, de don de soi. Car qui peut se donner s'il est possédé par une convoitise - matérielle, relationnelle ou intérieure ? Tout chrétien est appelé à la chasteté, la pauvreté et l'obéissance, suivant les formes propres à son état et à son rôle. Ces vœux signent la profonde sagesse du christianisme, car seul un homme mûr et achevé les vivra parfaitement. Seul, le Christ les a vécu et les vit. Et lui seul peut nous donner de les vivre. Car même du projet de les vivre par nos forces nous devons être libres, pour n'être pas possédés par les vœux-mêmes qui doivent nous libérer.

Ces vœux ne s'incarneront pas de la même façon pour un religieux, un étudiant, un prêtre, un père ou une mère, un patron, un employé, un passant, un familier... Ces vœux, nous avons tous à les laisser nous former, nous ouvrir les yeux sur les conditions de l'amour, qui sont déjà son accomplissement, car l'amour est unification et les moyens qui font grandir dans l'amour sont déjà l'amour.

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