dimanche 7 octobre 2007

Petit mot envoyé à nos gouvernants juste pour le plaisir... ou parce que ça soulage.

Paris, le 7 octobre 2007

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Madame le ministre,

Le rédacteur de cette lettre n’est que peu de choses face à l’immense appareil de l’Etat dont vous avez la charge, et je ne me fais par ailleurs pas trop d’illusion : vous ne lirez probablement jamais ces lignes. Plus probablement, et dans le meilleur des cas, un fonctionnaire de votre administration le fera et s’empressera de l’oublier. Peut-être aura-t-il raison, peut-être pas. Quoiqu’il en soit, je juge que mon devoir de citoyen est de dire ce que j’ai à dire sur le sujet – c’est plus ou moins le sens du mot « démocratie », je pense, et j’aurai au moins la conscience tranquille, ce qui n’a pas de prix. Je voudrais vous donner un point de vue sur la recherche française, un de plus !, sous forme de quelques points à méditer, si tant est que vous vous livriez un tant soit peu à cet exercice essentiel, surtout à votre niveau de responsabilité. J’imagine que la plupart de ces points vous ont déjà été soumis par plus compétent et plus autorisé que moi, mais sait-on jamais ? Je prétends livrer essentiellement le témoignage d’un chercheur qui a soutenu sa thèse il y a tout juste trois ans et a travaillé un an au Canada avant de revenir en France, et se demande parfois s’il n’a pas fait une grossière erreur. Si le pourquoi vous intéresse, lisez ces lignes. Sinon, en toute honnêteté, cela n’en vaut pas la peine.

Qu’est-ce que la recherche fondamentale ? Vaste question, et je n’ai pas la prétention d’en donner ici une définition. Il me semble, quoiqu’il en soit, que la recherche scientifique a pour objet l’avancée du Savoir et de la Connaissance. A chaque objet d’étude sa discipline et ses méthodes. Ainsi, le but premier de la recherche scientifique ne peut pas se décliner au premier chef suivant le thème de la rentabilité économique. Le but de la science n’est pas de faire de l’argent, pour parler clairement, mais d’améliorer nos connaissances, de donner une perspective à l’homme et de le servir, pas les retombées technologiques éventuelles. La recherche dite appliquée, qui traite de problèmes tout aussi complexe et peut conduire à des découvertes fondamentales, a elle pour premier objet de comprendre pour résoudre des problèmes pratiques. La limite entre ces deux branches de la recherche n’est pas toujours claire, en tout état de cause, et il n’y a pas une approche plus noble que l’autre, il n’y a que des objets différents.

Si l’objectif premier de la recherche n’est pas, et ne doit pas devenir, une question financière avant tout, il est par contre essentiel de mesurer l’impact à long terme de la recherche fondamentale. Impact totalement imprévisible, par définition même du mot recherche. C’est sans doute-là qu, psychologiquement, les choses sont les plus difficiles à intégrer pour des personnes ne connaissant rien à ce domaine (pardonnez cette franchise, mais ni vous, Monsieur le Président, ni vous, Madame le Ministre, n’avez un profil de chercheur scientifique). Et c’est d’autant plus difficile que la réalité de la recherche est l’incertitude, l’imprévisibilité, la liberté personnelle en acte, sans qu’aucune loi humaine ne puisse rien prescrire : aucun décret ne modifiera la loi de la gravitation, d’une part, ni ne permettra de combler le retard accumulé par un pays, d’autre part (par contre, il peut en faire prendre : la relation n’est pas du tout symétrique à ce niveau-là). Pour en revenir à la recherche fondamentale, qui aurait parié, au début du siècle dernier, quand Planck proposa la solution au problème que l’on appelle le « rayonnement du corps noir », qu’il allait s’ensuivre des développements théoriques tels que ceux qui ont mené à la mécanique quantique et, par suite, à toutes les nouvelles technologies qui ont envahit le monde moderne quelques décennies plus tard, au point que les applications de la mécanique quantique représentent aujourd’hui un tiers du PIB américain ? Pas grand monde, sans doute. La recherche fondamentale d’aujourd’hui représente l’avantage technologique d’un pays à moyen et surtout long terme, et la mettre à mal c’est se condamner à devenir une nation de second rang sur tous les fronts abandonnés. Tout retard pris dans ce domaine est extrêmement difficile à combler, par le fait même que perdre les compétences en recherche rime avec perdre les compétences en enseignement. Il y a donc un enjeu stratégique crucial à maintenir une recherche fondamentale de qualité pour notre pays, même s’il ne faut pas en attendre nécessairement de grandes retombées positives dans le temps d’un mandat : le rythme de la science n’est pas celui de la vie politique, mais représente par contre un bon test de la volonté réelle et de la vision à long terme de nos dirigeants. L’histoire jugera…

Je n’ai pas ici la prétention de donner un cours de gestion de la recherche d’un point de vue administratif : mes compétences ne m’y autorisent pas. Je n’ai, en fait, aucune intention de donner un cours sur quoi que ce soit, mais simplement de témoigner d’un certain nombre de choses vécues et entendues, et de livrer quelques réflexions sur le thème de la recherche, un peu tous azimuts. Chacun y lira ce qu’il voudra…

La recherche en France est organisée de façon originale, et l’originalité, en recherche, est une chose très importante et qu’il faut à tout prix entretenir, et encourager. Il y a deux points sur lesquels je voudrais attirer particulièrement votre attention. Le premier est la possibilité, de plus en plus rare, offerte aux chercheurs via le CNRS ou d’autres organismes de recherche, de se lancer dans des programmes à long terme et sur des sujets jugés parfois peu prometteurs sur le moment ou trop spéculatifs. C’est que la recherche a une forte dimension de prise de risque qu’il est plus difficile d’assumer, de la part du chercheur, sans garantie professionnelle suffisante. C’est la condition de la profondeur et de l’originalité des recherches entreprises. A ce titre, la France est l’un des rares pays à offrir une stabilité à long terme à ses chercheurs dès leur début de carrière. Autre point fort de la recherche française, la dimension communautaire. La notion même d’équipe de recherche a une importance particulière qui ne se retrouve pas dans d’autres pays sous la même forme. En Allemagne, les équipes qui peuvent être constituées sont à durée de vie limitée, alors qu’aux Etats-Unis les individualités priment. J’ai plus d’une fois entendu, en substance, un discours envieux envers cette dimension et les opportunités qu’elle ouvre, pour le peu qu’on veuille en profiter. Le fait-on suffisamment ? C’est une autre question. Je voudrais finir ce paragraphe en évoquant la plus importante originalité : celle des idées. La recherche est fondée sur la capacité à résoudre des problèmes non solubles par les méthodes traditionnelles, et donc sur la capacité de proposer des solutions originale – et rigoureuses, également : les deux vont de paire en recherche scientifique. Je ne sais plus qui disait qu’un chercheur c’est quelqu’un qui irait chercher les clefs de sa voiture dans le frigidaire…

Comparons un petit peu la situation d’un jeune chercheur en France et aux Etats-Unis. Ce sera assez bref, tant la différence est criante : un certain nombre de mes collègues, recrutés comme maître de conférence, se sont trouvés dépourvus de tout moyen de recherche pour démarrer leur projet – celui, accessoirement, pour lequel ils ont initialement été recrutés – au point que l’achat d’un ordinateur a pu devenir un vrai casse-tête pour certains, alors que dans le même temps, les chercheurs américains débutants reçoivent des sommes dont le seul nombre de zéros fait rêver n’importe quel chercheur, voire équipe de chercheurs !, français. De la même façon, le rapport niveau de salaire sur niveau de qualification est une véritable plaisanterie, pas très drôle cependant. Là encore, la comparaison avec les pays étrangers est bien souvent intenable. Penser que les chercheurs n’ont pas le droit de voir leurs compétences reconnues comme il se doit est soit de l’hypocrisie, soit de l’inconscience. Imaginer, de plus, que l’on fera cesser ainsi la fuite des cerveaux et la désaffection pour les sciences est aberrant. Certes, les aspects financiers, surtout en ce qui concerne la désaffection des étudiants, n’expliquent pas tout (l’appel de métiers moins exigeants intellectuellement et plus reconnus a certainement son importance, l’évolution des mentalités et des objectifs de vie personnels également, mais ce n’est pas le lieu de proposer une réflexion psycho-sociologique) mais y contribuent pour beaucoup, cela ne fait aucun doute. J’ai eu l’occasion de rencontrer des chercheurs français au Canada qui justifiaient ainsi leur établissement de l’autre côté de l’Atlantique. Des jeunes chercheurs travailleurs et compétents je peux en témoigner. Ils sont perdus pour la France.

Pour continuer sur le thème de la reconnaissance des chercheurs, le plus terrible, à mon sens, est le manque de respect qui leur a été témoigné dans la façon dont les propositions telles que celles du mouvement Sauvons La Recherche ont été reçues. Dans le cadre de ce mouvement, la communauté scientifique française a fait preuve d’une forte volonté de réforme et a dessiné les contours des décisions à prendre. Après tout, étant donné la forte particularité de la recherche (métier intellectuel et spéculatif nourri d’analyse et de réflexion), on peut s’attendre à ce que ceux là même qui la pratiquent soient capables d’en dresser l’état des lieux. Les chercheurs sont bien souvent des gens désintéressés financièrement, passionnés par leur sujet et entraînés à prendre du recul sur des problématiques complexes :ils semblent donc parfaitement armés pour se réformer. Encore faut-il leur faire confiance et les écouter… A ce titre, je ne crois pas que l’on puisse dire que ces dernières années aient été la démonstration d’une confiance sans faille témoignée envers les chercheurs. Mais la confiance se fonde sur la connaissance, et la connaissance profonde. Combien, parmi vos « vrais proches », sont chercheurs en science ? Je ne crois pas beaucoup à d’autre forme de connaissance, l’être humain étant ce qu’il est, il se méfie de ce qu’il ne connaît pas. Parfois, cette méfiance est dangereuse. En l’occurrence, elle me paraît mortelle.

Autre sujet délicat, l’idée qui a germé récemment de proposer aux étudiants en thèse une rémunération plus élevée (il serait temps ! L’état des lieux en la matière est une honte !) en échange de services de « consulting » aux entreprises. Les thèses françaises sont déjà trop courtes – seulement trois ans – et amputer le temps de recherche des thésards serait la garantie de nuire à leurs travaux. Ce temps consacré au consulting serait nécessairement pris sur le temps de recherche des forces vives de l’activité scientifique française, le rôle des thésards étant crucial dans la démarche de recherche moderne, les « seniors » étant bien souvent occupés à se perdre dans les aspects financiers et administratifs. Nous y reviendrons.

En terme de financement, c’est une pure tromperie de faire croire que les budgets alloués sous forme de crédit d’impôt ou autre astuce financière participent intégralement à l’effort de recherche. Force est de constater que les soucis des industriels ne sont pas ceux de la recherche fondamentale, on peut le regretter ou pas, mais le fait est que la situation française est radicalement différente de la situation américaine, par exemple. Un certain nombre de groupes (pharmaceutiques notamment) se font purement et simplement financer leur recherche par les fonds publiques via les ANR, notamment. D’autre part, sous le label « recherche » on retrouve des activités qui relèvent plutôt du développement, activité fondamentalement différente de la recherche : il y a ici une confusion bien commode pour présenter les bilans, mais qui masque en fait une situation réelle qui met en péril l’avenir de notre pays scientifiquement et industriellement, la recherche d’aujourd’hui, je me répéte, représentant les forces industrielles stratégiques de demain. Par-delà les discours, la réalité des faits parle. S’il est souhaitable de voir se développer le dialogue recherche/industrie, il est dangereux de vouloir le forcer artificiellement, et notamment en étranglant les budgets de secteurs ou de sujets de recherche qui ne sont pas mûrs pour ce genre d’échanges. En outre, c’est une perversion de la recherche elle-même, qui ne doit surtout pas devenir un appendice de l’organe industriel. La noblesse de l’homme se tient notamment dans la Connaissance pure. Tomber dans la confusion qui assimile technologie et science est dangereuse, à court terme pour la première et à plus ou moins long terme pour la seconde, qui ne pourra plus se nourrir d’une recherche moribonde.

Autre aspect quotidien de la recherche française : le sous effectif dramatique des personnels techniques – et des chercheurs – et gonflement du temps consacré aux aspects administratifs (par exemple, pour l’achat d’un disque dur d’ordinateur ou parfois d’un simple stylo, il faut en passer par des démarches qui poussent certains chercheurs à prendre sur leurs fonds personnels plutôt que de perdre du temps à remplir des formulaires et à attendre que la procédure suive son court, parfois incompatible avec l’exercice des activités de recherche. Ces aspects administratifs sont systématiquement pesants, en tout cas). Les conséquences paraissent évidentes : les chercheurs consacrent une partie non négligeable de leur temps à des activités sans rapport avec leurs fonctions ni avec leurs qualifications. Cela ne saurait, à terme, profiter à personne. Du moins en France.

Enfin, il semble important de souligner une idée toute simple : la recherche est un pari, une prise de risque, qui repose sur l’instinct des chercheurs, leur « sens physique », comme le dit l’expression consacrée, et l’élément crucial pour qu’elle puisse s’épanouir est de donner la plus grande liberté possible au chercheur. Ma pratique de la recherche m’a montré qu’en moyenne les gens qui pratiquent cette profession sont passionnés par leur travail et portent un regard lucide sur leurs responsabilités. Oserez-vous vous lancer, à votre mesure et selon votre fonction, dans cette aventure ? Pour le bien de tous, je l’espère sincèrement.

Monsieur le Président, Madame le ministre, je finis ces quelques mots en soulignant que j’ai essentiellement abordé les « questions qui fâchent »… J’aurais pu en aborder d’autres, de la responsabilité des chercheurs face à la société à l’évaluation du personnel de la recherche, questions tout aussi essentielles… Mais je ne crois pas qu’elles revêtent un caractère d’urgence aussi fort que les points que j’ai évoqués… encore que.

En vous souhaitant bonne réception de ce courrier et en formulant des vœux de succès sincères et chaleureux pour votre Mandat, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, Madame le Ministre, mes plus respectueuses salutations,

samedi 29 septembre 2007

Péché originel

Quelques idées, qui ne sont, pour la plupart, pas de moi, mais que j'ai mises un peu en ordre...
Certains voient la faute d’Ève avant de mordre dans le fruit, dans sa mauvaise restitution, sa déformation des propos de Dieu à l'endroit des hommes. Dans le dialogue avec le serpent, celui-ci commence par mentir de façon éhonté :
"Vraiment! Dieu vous a dit: Vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin "
Alors qu'au contraire, dans le récit Dieu dit :
"Tu pourras manger de tout arbre du jardin, mais tu ne mangeras pas de l'arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais car, du jour où tu en mangeras, tu mourras"
et ce avant la création d’Ève... Dans cette phrase, ce qui vient en premier c'est : "tu pourras manger de tout" : ce qui est premier, c'est la générosité complète, débordante, de Dieu vis-à-vis de l'homme. L'interdiction divine, elle, a la logique de l'adulte qui interdit à l'enfant de mettre les doigts dans la prise... pour son propre bien : la conséquence de manger du fruit de l'arbre... c'est la mort, comme de mettre les doigts dans la prise. Dieu dit cela à l'homme parce qu'il a souci de lui.
Le serpent commence par un mensonge, ce à quoi Ève va répondre par une parole déformée:
"Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin, mais du fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: Vous n'en mangerez pas et vous n'y toucherez pas afin de ne pas mourir"
Cette réponse contient une erreur : l'arbre qui est au centre, ce n'est pas l'arbre de la connaissance du bien et du mal, mais l'arbre de la vie, qui n'est pas interdit. Ensuite, Dieu n'a pas interdit de toucher l'arbre de la connaissance du bien et du mal - ce qui apparaît comme une interdiction arbitraire : il n'a interdit que la consommation du fruit, pour le bien de l'homme. Dans les paroles d’Ève, le commandement divin qui avait pour but de les protéger, elle et Adam, devient un tabou arbitraire : la parole divine est déformée et rendue méconnaissable, la parole de vie est devenue commandement sans fondement... à partir de ce petit écart entre la pensée divine et les paroles d’Ève, le coin peut s'enfoncer.
Si l'on voit ici le péché originel, il n'est alors pas fruit de l'orgueil, mais bien d'un manque de fidélité envers Dieu et de confiance envers lui, ce qui me paraît beaucoup plus riche, car cela situe le problème de la faute originelle non pas au niveau d'une simple vertu - même pas théologale ! - comme celle de l'humilité, finalement à une réalité que l'on peut envisager comme intérieure et personnelle, et la fait passer au plan de la relation à Dieu, de la confiance et de la fidélité en Lui... pour rêver un peu, notons que le temps de la foi, au plan humain, c'est-à-dire le temps du Salut : notre vie présente, est précisément celui de la fidélité et de la confiance, ces deux mots qui ont la même racine que le mot foi - fides en latin - et qui sont les "piliers" psychologiques de la vertu théologale de foi : il y aurait ainsi une cohérence anthropologique entre le temps actuel, qui est celui de la foi et où le Salut n'est pas achevé, et ce qui a nécessité le Salut : un péché contre la foi, ou la confiance et la fidélité. Cette "unité" se perd si l'on fait du P.O. une faute d'orgueil.
Par ailleurs, l'évangile de Luc insiste beaucoup sur ce point : Marie retenait les paroles et les gestes, retenait les éléments de son histoire sainte et les méditait dans son cœur : à ce titre, elle est vraiment la nouvelle Ève, celle qui n'a pas déformé les propos, qui est restée fidèle et confiante, même lorsqu'elle ne comprenait pas... on peut alors voir là la signature de l'Immaculée Conception de Marie : elle a été fidèle à Dieu précisément à hauteur de ce qui a fait la faute originelle.
Enfin, la chronologie des événements: Dieu communique l'interdiction non pas à Ève, mais à Adam... dans la logique du récit, celle-ci n'est pas là au moment où la chose se dit et l'on peut donc se demander qui a déformé les propos au moment du dialogue avec le serpent ? Adam l'aurait-il fait lorsqu'il a communiqué à Ève, ou bien est-ce celle-ci qui a mal compris ? On peut donc voir là un flou qui empêche de dire qui de Adam ou de Ève "a commencé". En tout état de cause, Adam étant présent au moment du dialogue avec le serpent, ne contredit pas les propos d’Ève : il est donc tout aussi coupable car, comme dit le proverbe: qui ne dit mot consent !

samedi 21 juillet 2007

L'avortement

De fait la réflexion philosophique, ou plutôt légale, moderne sur la question de la définition du début de la vie est bloquée pour des problèmes idéologiques : il faudrait regarder en face la violence de la réalité de l'avortement, violence faite aux mères comme aux enfants à naître et même aux équipes médicales qui travaillent dans les services d'orthogénie (l'analogie avec le mot eugénisme laisse rêveur), sur tous ces points la réalité du terrain est bien loin des discours idéologiques : elles est tissée de la souffrance des différents acteurs face à ce « geste ». D’ailleurs, dans les faits on assiste à des aberrations qui sont que pour les parents qui décident de garder leur enfant, le médecin le qualifie de bébé des le début du processus, mais si l’avortement est envisagé, il est qualifié de fœtus, ou d’embryon selon les cas. Humainement, l’avortement est un drame, mais c’est inaudible dans notre société actuelle et source de souffrance pour ceux et celles qui le vivent : les témoignages sont nombreux, mais inaudibles idéologiquement. La première chose à pouvoir entendre dans notre société malade, ce seraient les souffrances des femmes qui ont subi l’avortement…

La lecture du discours fait par S. Veil reflète une défense basée sur l’idée que l’avortement est mauvais en lui-même mais la décision de voter la loi de dépénalisation était basée sur une réalité qui était que les femmes qui voulaient avorter devaient avoir recourt à des non professionnels ce qui était dangereux. Simone Veil avait alors émis le vœu que les générations à venir pourrait trouver une méthode plus « satisfaisante » - je n’ai plus les mots exacts en tête – mais de fait, l’avortement était clairement conçu, du moins dans le discours, comme quelque chose à éviter… soit elle nous mentait, soit on a évolué philosophiquement sur ces questions sans que le débat ait été tenu sur la place publique, ce qui est assez gênant pour des questions aussi grave (dans une démocratie, soit dit en passant).

D’un point de vue biologique, il est absurde de définir l’humain après les neufs mois réglementaires. Si c’est le cas, force est de constater qu’on dépense des fortunes inutilement en essayant de préserver des fœtus nés avant terme et donc non humain selon la lettre de cette théorie, fortunes qui seraient alors bien mieux dépensées ailleurs que pour des amalgames de tissus pré-humains. En outre, que signifie le mot viable ? Laissez un enfant seul après sa naissance, vous verrez s’il est viable… Cette notion est absurde, elle repose sur l’illusion créée par le changement du mode de respiration, un point c’est tout. Il n’y a qu’à regarder les films d’échographies en cours d’avortement pour constater que « l’embryon » se débat vigoureusement : s’il n’est pas vivant et autonome dans le sens du désir de survie, cela y ressemble drôlement. Au plan biologique, le développement de la personne ne connaît qu’un seul saut qualitatif : celui de la fécondation. A partir de la, le développement se fait par différenciation des tissus et des cellules de façon continue et ce n’est que par une décision arbitraire que l’on décide de fixer à une certaine date la limite légale de l’avortement, la preuve est qu’en pratique on la recule sous l’effet de groupes de pression mais sans la moindre argumentation de fond. Par ailleurs, les choses ne sont pas toujours clairement dites : pour toute malformation l’avortement est autorise jusqu'à la veille de la naissance, le délais légal porté de 10 à 12 semaines par la loi Aubry concerne l’avortement décidé sans qu’il y ait de « motif médical » du coté de l’enfant. On peut d’ailleurs s’interroger sur le sens d’une médecine qui prétend soigner en tuant le patient ? De fait, l’avortement dit « thérapeutique » porte atteinte non à la maladie (comme c’est le but d’une thérapie) mais au malade : les mots sont détournés, cela évite de regarder la réalité en face.

En outre, notre société évoque de temps en temps le mirage d’un spectre horrible : l’eugénisme, nous éreintant sous les invocations pour ne pas tomber dans cette monstruosité. J’aimerais qu’on m’explique en quoi la décision de ne pas laisser naître un enfant sur critère médical n’est pas un fait eugénique ? J’attends les arguments avec impatience, assez curieux de voir à quelles pirouettes verbales il va falloir se livrer pour défendre le point de vue contraire… Mais toute l’histoire de l’avortement repose sur de telles esquives et appels à des grands sentiments, sans s’être jamais fondée ni sur la réalité vécue par les femmes et les services médicaux ni sur la moindre réflexion philosophique digne de ce nom. L’expression « droit de disposer de mon corps » cache la réalité que dans l’avortement, on ne dispose pas du corps de la femme mais de celui de l’enfant, c’est un fait matériel, génétique. La loi qualifie d’interruption volontaire de grossesse (IVG) l’avortement effectué par décision de la mère sans que cela repose sur le moindre critère médical. Interruption médicale de grossesse (IMG) l’avortement – possible a tout moment – réalisé en raison d’une malformation détectée chez l’enfant. Enfin, il existe l’interruption thérapeutique de grossesse, réalisée quand le développement de l’enfant met en danger la survie de la mère. Ce dernier cas apparaît moralement acceptable, soit dit-en passant, même s’il reste souvent dramatique pour la mère : la nature humaine a ses lois propres, quoiqu’en pensent les idéologues.

En pratique, la loi prévoit (yait) un entretien obligatoire pour présenter des solutions alternatives, afin que n’avortent pas des femmes qui y seraient contraintes pour des raisons financières. Dans les faits, tout est mis en place pour que cela ne soit pas possible et nombre de centres hospitaliers ne connaissent même pas ces dispositions et ne sont dotés d’aucune structure pour amener sur la table la moindre alternative à l’avortement. Idéologie quand tu nous tiens…

La machine idéologique s’est emballée, entraînant un cortège de souffrances inavouables et inaudibles mais d’autant plus profondes. Dans notre société qui se prétend humaniste, on jette au visage des femmes déprimées et blessées jusque dans leur chair par l’avortement qu’elles ne sont pas suffisamment libérées… j’imagine qu’elles ne sont pas suffisamment libérées de leur nature et de leur corps, et que cette libération consiste à ne pas écouter notre réalité charnelle profonde.
Site Internet intéressant pour une présentation alternative :

http://www.survivants.com

Laissons le mot de la fin au pape, c’est plutôt pas mal en général :

« Fréquemment, la femme est soumise à des pressions tellement fortes qu'elle se sent psychologiquement contrainte à consentir à l'avortement: sans aucun doute, dans ce cas, la responsabilité morale pèse particulièrement sur ceux qui l'ont forcée à avorter, directement ou indirectement. De même les médecins et le personnel de santé sont responsables, quand ils mettent au service de la mort les compétences acquises pour promouvoir la vie.

« Mais la responsabilité incombe aussi aux législateurs, qui ont promu et approuvé des lois en faveur de l'avortement et, dans la mesure où cela dépend d'eux, aux administrateurs des structures de soins utilisées pour effectuer les avortements. Une responsabilité globale tout aussi grave pèse sur ceux qui ont favorisé la diffusion d'une mentalité de permissivité sexuelle et de mépris de la maternité, comme sur ceux qui auraient dû engager — et qui ne l'ont pas fait — des politiques familiales et sociales efficaces pour soutenir les familles, spécialement les familles nombreuses ou celles qui ont des difficultés économiques et éducatives particulières. On ne peut enfin sous-estimer le réseau de complicités qui se développe, jusqu'à associer des institutions internationales, des fondations et des associations qui luttent systématiquement pour la légalisation et pour la diffusion de l'avortement dans le monde. Dans ce sens, l'avortement dépasse la responsabilité des individus et le dommage qui leur est causé, et il prend une dimension fortement sociale: c'est une blessure très grave portée à la société et à sa culture de la part de ceux qui devraient en être les constructeurs et les défenseurs.
« […] l'enjeu est si important que, du point de vue de l'obligation morale, la seule probabilité de se trouver en face d'une personne suffirait à justifier la plus nette interdiction de toute intervention conduisant à supprimer l'embryon humain. Précisément pour ce motif, au-delà des débats scientifiques et même des affirmations philosophiques à propos desquelles le Magistère ne s'est pas expressément engagé, l'Eglise a toujours enseigné, et enseigne encore, qu'au fruit de la génération humaine, depuis le premier moment de son existence, doit être garanti le respect inconditionnel qui est moralement dû à l'être humain dans sa totalité et dans son unité corporelle et spirituelle. »

Tire de « l’évangile de la vie ».

Je voudrais illustrer le dernier point, qui n’est autre que le principe de précaution appliqué à l’avortement. Voici une analogie possible : je n’ai moralement pas le droit de tirer avec une arme à feu sur une cabane en bois dont je ne peux garantir qu’elle est vide : risquant de tuer quelqu’un, si cela se produit, je serai coupable à tout le moins de négligence criminelle. Cela paraît simple, au fond ? Partant de là, sauf à pouvoir démontrer sans l’ombre d’un doute possible que l’embryon ou le fœtus présent dans l’utérus de la mère n’est pas humain, l’avortement est, dans le meilleur des cas, une négligence criminel. Dans le pire, positivement un crime.

En réalité, la loi Veil n'était en fait que le premier pas d'une manoeuvre politique et idéologique qui a parfaitement abouti, véritable arnaque philosophique et morale difficile à discuter dans l'ambiance de pensée unique de notre société revenue de tout qui ne trouve plus que son nombril comme guide éthique. Et comme le disait une connaissance de forum, « le nombril, c’est encore viser un peu trop haut »…

samedi 14 juillet 2007

Puissance...

C'est le raisonnement en "puissance" qui ne peut pas aboutir dans le cas de la révélation chrétienne. Le Christ ne nous présente pas un dieu de puissance, écrasant et dominateur, mais un dieu d'amour, a genou devant l'homme, dans la position du serviteur, soucieux de favoriser sa liberté et donc de ne pas l'écraser par la puissance ni d'atteindre a notre condition d'homme, qui fait de nous un élément de cet univers et qui contient ces choses terribles. Le Christ ne nous décharge pas de la souffrance : ou serait notre liberté, alors, entre un dieu papa gâteau et un monde torture ? Par contre, ce qu'il fait, c'est qu'il nous rejoint dans la souffrance. S'il ne peut la faire disparaître, par contre il peut nous y rejoindre. "Ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est a moi que vous l'avez fait" : il nous y rejoint même de façon très mystérieuse, puisqu'il nous invite a croire qu'il est avec nous au présent, au quotidien de nos vie, de manière voilée.
"Bien tard je t'ai aimée, ô beauté si ancienne et si nouvelle,
Bien tard je t'ai aimée !
Et voici que tu étais au-dedans, et moi au-dehors
et c'est là que je te cherchais,
et sur la grâce de ces choses que tu as faites,
pauvre disgracié, je me ruais !
Tu étais avec moi et je n'étais pas avec toi ;
elles me retenaient loin de toi, ces choses qui pourtant,
si elles n'existaient pas en toi, n'existeraient pas !
Tu as appelé, tu as crié et tu as brisé ma surdité ;
tu as brillé, tu as resplendi et tu as dissipé ma cécité ;
tu as embaumé, j'ai respiré et haletant j'aspire à toi ;
j'ai goûté, et j'ai faim et j'ai soif ;
tu m'as touché, et je me suis enflammé pour ta paix. "
St Augustin. Le Christ ne nous fait pas rencontrer un dieu de puissance, extérieur et écrasant, mais nous invite a la rencontre d'un Dieu souffrant, intérieur, renversant nos catégories : elle est la, la conversion, dans ce renversement de nos catégories et dans l'ouverture que cela provoque, existentiellement, c'est a dire que réellement je modifie mes actes pour les conformer a ma foi (il n'y a pas de foi sans les oeuvres, cf. St Jean... et puis c'est du bon sens ! Si on ne fait pas, c'est qu'on n'y croit pas) qui est de vivre de l'amour du Christ envers toute personne.
Le problème, bien sur, c'est que ce retournement est incroyablement difficile, puisqu'il va a l'encontre de notre orgueil, de nos égoïsmes, de nos lâchetés, de notre confort... et en même temps, on sait combien l'amour humain est déjà un incroyable moteur de "conversion" a l'autre. Dieu, lui, est le Tout Autre, qui nous invite donc au Tout Amour, dans sa radicale différence, par delà tous les racismes. Aimer ses ennemis...

Un événement d'actualité : Noël

Dieu s’est fait homme ! Arrêtons-nous quelques instants auprès du petit enfant qui se trouve là, couché dans la crèche. Ce n’est pas la première fois que nous voyons un enfant, ni même la première fois que nous pensons au « petit Jésus ». Mais arrêtons-nous.
Il est là, tout petit, faible et dépendant, allongé dans la paille, emmailloté de linges par sa mère. Les yeux fermés, les poings serrés il dort et sa respiration est si légère que nous l’entendons à peine. Cet enfant, faible et dépendant… c’est Dieu.
 

As-tu remarqué comme quand il y a un tout petit enfant quelque part, tout le monde est attiré par lui, s’occupe de lui et se réjouit ? Les gens sont heureux et l’observent attentivement, qu’il mange, qu’il joue, qu’il dorme, qu’il essaye de parler… tous les regards gravitent autour de lui. C’est le mystère de la vie naissante, qui rend heureux et réjouit les cœurs. Et nous qui allons accueillir le Seigneur à Noël, allons-nous nous réjouir de cette même joie ? Dieu est là, petit enfant, va-t-il susciter en nous cet élan d’amour si naturel ? Imagine simplement la scène : l’enfant dort et tu es là, près de lui ; et cet enfant fragile, c’est Dieu. Dieu qui nous aime tellement qu’il nous rejoint pour susciter notre amour, nous invite à s’arrêter auprès de lui et à transformer un peu notre cœur. Ce Dieu qui voudrait bien que nous nous arrêtions près de son berceau pour nous réjouir de sa présence et grandir dans son amour, dans l’amour de tous nos frères et sœurs…
 

Ce Noël, il est comme tous les autres auparavant, et il y en aura bien d’autres après… Nous pensons à la fête, aux réjouissances familiales… et Dieu nous attend dans la crèche. Ce petit enfant ne peut que mendier notre amour d’un regard, si nous voulons bien croiser le sien, ne fût-ce qu’un instant. Et si nous le croisons, alors ce Noël ne sera certainement pas comme les autres. Rester auprès de Jésus bébé, se réjouir de sa présence et entrer dans le mystère de sa naissance ne peut que nous apprendre à aimer plus et mieux. A être plus attentifs aux autres. Ce Noël, tu aideras peut-être une association pour personnes en difficulté, à moins que tu ailles animer une soirée dans une maison de retraite… quand tu le feras, fais-le en pensant au petit enfant Dieu. Amène avec toi la joie de savoir que Dieu s’est fait petit enfant et que tu peux être le messager (être le messager d’un petit bébé, nous en sommes peut-être capables ?), le messager, donc, de son amour auprès des gens que tu rencontres, par ton regard, par tes mots, par tes attentions, tes services… Alors vraiment la joie de Noël prendra tout son sens : celui de l’amour fou de Dieu pour chacun d’entre nous, de Dieu qui nous rencontre personnellement. Soyons des messagers de l’amour de Dieu auprès des gens avec qui nous vivons ou que nous côtoyons. Au fond, ce n’est pas difficile : il suffit de prendre le temps de s’arrêter et de contempler Dieu dans la crèche…

Petite méditation sur le Départ Routier

Être routier scout, cela signifie mûrir encore. Notre compréhension de notre départ s’enrichit encore après que nous l’avons pris. En fait, elle commence là, pour ainsi dire : nous ne comprenons le Départ qu’en le vivant, de la même façon que nous ne comprenons notre Promesse que depuis le jour où nous l’avons prononcée. Il faut réfléchir avant, mais il est évident que notre Départ sera à prononcer chaque matin, et que certaines fois, peut-être, nous ne le prononcerons pas. Prendre le départ, ce n’est pas arriver ! C’est partir, pour autre chose. Tout ce que Dieu voudra, où Il voudra, comme Il voudra. C’est demander à Dieu de nous apprendre à aimer et aimer tous les hommes que nous rencontrons.
Notre discipline de vie, c’est ce qui nous permet d’avancer quand plus rien n’a de goût. C’est ce qui permet de grandir dans la difficulté. Car notre discipline doit être exigeante. Pas insurmontable. Adaptée, mais exigeante. De toute façon, le plus dur, c’est le plus petit : se lever à l’heure et penser à Dieu en premier le matin, cinq minutes. C’est sourire quand on est fatigué. Se poser pour prier dix minutes dans la journée. Lire une page d’Évangile et retarder de ce fait de cinq minutes le film qu’on avait prévu. Que c’est dur. Et que c’est facile.
Ne pas être esclave de ses caprices, de son confort, avoir une âme de pauvre… Cela commence peut-être par la discipline de vie : apprendre à donner son temps, à ne pas s’en estimer propriétaire, pas plus que nous ne sommes propriétaires de notre vie. Alors il est plus facile d’être détaché de ces… choses. De notre musique, de notre sport favori, … Avoir une âme de pauvre ce n’est pas forcément tout laisser. C’est être prêt à le faire. Vraiment. Profondément. C’est le faire, de temps en temps, comme un entraînement - « courez, de façon à remporter la couronne de gloire », nous dit Saint Paul : il s’agit bien d’un entraînement, mais l’entraînement est en même temps la compétition elle-même. Notre entraînement à l’amour est notre amour. Le temps que nous prenons à apprendre l’amour est de l’amour. Et ce temps, nous ne nous le consacrons pas… même s’il n’est pas perdu pour nous. C’est avoir une âme de pauvre. Avoir une âme de pauvre, c’est se coucher le soir en se disant qu’on n’a pas eu une minute pour soi. Facile en camp, où les autres nous interpellent sans cesse, plus dur dans la vie quotidienne. Être détaché, c’est aussi savoir quitter ceux que l’on aime dans la joie, parce qu’il le faut bien… parce que c’est la vie, c’est le réel (ne chantons-nous pas d’ailleurs que ce n’est qu’un au revoir, que Dieu saura nous réunir ? Comprenons-nous seulement ce que nous chantons ? Qu’il est dur de ne pas vivre à la surface des choses, surtout des plus petites, comme cette chanson…). Et peut-être qu’au bout du compte, la pauvreté signifiera de tout laisser. Et peut-être pas.
Se conformer au réel, c’est la marque des adultes. Des adultes volontaires et non timorés. Il s’agit de ne pas fuir dans l’imaginaire, mais de vivre notre vie telle qu’elle est et doit être. Ne pas se plaindre. Je ne suis pas assez ceci, je suis trop cela… je devrais … Ah ! Si seulement… Rien de tout cela n’est le réel. Le réel prend tout notre temps et toute notre énergie, sinon elle est gaspillée en futilités. L’amour n’existe que dans le réel. L’amour ne peut être vécue qu’incarnée, confrontée au temps et à nos limitations humaines. Ce n’est pas frustrant : c’est sanctifiant. L’amour d’un homme et d’une femme croît avec le temps, grâce, notamment, aux erreurs. Car les erreurs sont lieu de progrès, si nous savons vivre le pardon, en le demandant ou en l’accordant. Le pardon est un acte des plus durs. Particulièrement réel : il nécessite humilité et sens de la justice. Seigneur, qu’il est beau ton réel, dans ce qu’il a de grand, comme dans ce qui est petit.
Tout acte d’un routier compte et engage. Oui, car tous nos actes s’inscrivent dans le réel. Nous ne perdons pas notre temps : il est à Dieu. Même quand nous prenons le temps – légitime et nécessaire – du repos. La vie est à prendre au sérieux. Nous sommes des hommes et nous communions aux joies de nos frères. Non pas conceptuellement ou dans notre imaginaire, mais face à ceux que nous rencontrons, au travail, sur les bancs de la fac, quand nous allons aider dans le soutient scolaire, ou quand quelqu’un vient nous aider. Quand nous tenons la porte à un inconnu, où que nous prenons le temps d’écouter notre voisin, qui a des problèmes et qui ne sait plus à qui se confier. Partout, c’est le Christ que nous rencontrons. Partout nos actes nous engagent envers le Christ, envers nos frères. Et nous en sommes heureux : partout, nous sommes avec le Christ, serviteurs inutiles que l’on ne remarque même pas, mais que l’on apprécie.
En se confrontant au réel, en vivant comme des engagements chacun de nos actes, nous allons à la rencontre de la vérité. Nous cherchons à la débusquer partout. Car la Vérité, c’est le Christ. Nous pouvons la/le servir en tout. Quand un film sort et salit l’Église, nous pouvons être témoin de la vérité. Quand nous aimons quelqu’un, nous prenons le temps de le connaître en vérité, sinon, ce n’est pas lui que nous aimons : ce sont nos chimères. L’amour exige la vérité. Et nous aimons la vérité, car elle est belle, dure et exigeante. Nous prenons un peu de temps, tous les jours, pour apprendre. Apprendre tout ce qui nous permet de mieux connaître l’homme et le monde. A mieux connaître Dieu, non pas selon ce que nous imaginons, mais tel qu’Il se présente à nous, en vérité, pas en imagination. La vérité est forte, exigeante : elle fait grandir. Elle nous provoque comme témoins, comme apôtres. Oui, un Routier aime de toute ses forces la vérité, et ne peut pas se contenter d’un à peu près entendu d’avance. La vérité est humble. Car elle nécessite le temps et le respect. Connaître quelqu’un impose de le respecter, de prendre le temps de la rencontre, de la découverte. La vérité sur quelqu’un, nous ne pouvons la détenir toute entière ici bas. C’est un fait qui appelle à l’humilité. La Vérité, c’est le Christ, et le Christ est humble jusqu’à naître dans une étable et mourir nu sur une croix. La Croix.
Tout homme nous enseigne un peu plus sur l’homme par ce qu’il est. Si nous savons prendre le temps de la discussion, nous apprenons et nous aimons. Plus l’homme est disgracié, plus il peut être source d’amour. L’homme anéanti, invisible, c’est Toi Seigneur, dans l’hostie. Dieu ! Qu’il est dur d’aimer ceux que nous n’aimons pas assez ! Ceux dont on veut rire, ceux qui nous indignent. Ceux qui ne sont pas d’accord avec nous, et qui ont peut-être raison… Mais que tout homme est beau. Marqué, de façon indélébile, par la marque de son Créateur. Qu’il est beau, ce sourire qui illumine ce visage. Quelles belles traces laissent partout l’amitié, l’amour ! Ce jeune qui s’émerveille de savoir faire une table, notre grand-mère qui a pu passer deux heures à nous raconter son enfance. Cette personne handicapée que nous avons emmenée à la neige et qui riait si horriblement, si bellement. C’était le Christ qui passait, et nous ne le savions pas. Nos cœur n’étaient-ils pas tout brûlant… ? Seigneur, me donneras-tu la force d’aimer cet homme haïssable, qui a tant souffert ? Ajouterai-je à ses souffrance en n’étant pas pour lui le Christ miséricordieux, celui qui écoute la samaritaine, la prostituée ? Comment puis-je consacrer mon temps à autre chose qu’aimer mes frères ? Comment ne suis-je pas déchiré, broyé par l’Amour ?
Seigneur, comme ils sont bons, les défauts des autres, qui m’apprennent à mieux voir les miens, qui me permettent d’endurer pour toi, silencieusement, de si petites choses qu’elles sont déjà au-delà de mes forces. Seigneur, ce Routier, qu’il est… sanctifiant… si tu m’en donnes la grâce, si je te la demande… Mon Dieu, apprends-moi à ne jamais condamner, moi qui ne sait rien. Moi qui aime la vérité, lui court après, mais ne la détiendrai jamais tout à fait… alors comment pourrai-je… condamner ? Seigneur, tu nous demandes d’être des hommes d’amour, de pardon et de patience… comme tu l’as été. Seigneur, fais de nous des miséricordieux, qui obtiennent la miséricorde pour leurs frères, et pour eux… s’il en reste : il y en a si peu, dans ce monde. Seigneur, fais de nous des doux, que nous ne soyons pas honteux. Cette douceur virile qui permet d’aimer les imperfections… et les perfections. Mon Dieu, montre moi ta Gloire dans chaque homme que je rencontre.
Seigneur, dis-moi ce que tu veux que je fasse… que je le fasse.

dimanche 1 juillet 2007

Liberté

On peut distinguer différents types de liberté.
Le premier – celui le plus couramment entendu – est défini de façon essentiellement égocentrique – dans le sens premier du terme : centré sur le moi : être libre c’est faire ce que l’on veut. A ce stade – et sans plus de considération anthropologique (le plus souvent) « ce que l’on veut » fait référence à ses désirs superficiels, à ses sentiments, bref, à tout ce qui fluctue.

Un deuxième type est une définition essentiellement relative à l’autre : être libre consiste en ma capacité à discerner et vouloir ou ne pas vouloir vivre selon les règles d’une morale qui prend l’autre en compte. Le paradigme en étant sans doute la règle kantienne : que l’autre ne soit jamais un moyen, mais toujours une fin. C’est une morale de l’interdit, du « ne pas ». C’est une liberté dans laquelle on s’impose une contrainte, on bride ses sentiments, ses instincts, lorsqu’ils peuvent nuire à l’autre. N’est alors pas libre celui qui ne peut se dominer : la liberté prend une dimension intérieure absente de la précédente définition.

Un troisième type est une définition qui prend l’amour comme point de départ. Dans cette perspective, l’être humain est vu comme fait pour l’amour et la liberté est à poser comme un choix entre égoïsme et amour, accaparement et don (voire sacrifice), altruisme, ouverture. C’est un travail sur soi qui va tendre à unifier les sentiments, l’intelligence, la volonté, le cœur. Cette liberté-là ouvre à l’autre en harmonie de plus en plus profonde avec soi-même. Ce n’est pas une liberté facile, car il s’agit d’un vrai travail qui va à l’encontre de nos instinct égoïstes et cette fois-ci de façon plus proactive que dans la deuxième définition : on ne se contente pas de ne pas nuire à l’autre, mais notre liberté est perçue comme s’accomplissant dans l’exercice de l’amour des autres, or l’amour est quelque chose d’actif et de prévoyant, qui ne se contente pas de ne pas nuire, mais s’efforce de faire le bien. C’est une liberté qui commence à bâtir l’homme s’unifiant car tendant à bâtir l’unité autour de soi dans le même mouvement : amour et liberté ont alors totalement partie liée.

Enfin, le quatrième point de vue que l’on pourrait proposer est la liberté du serviteur, celle de l’évangile. Il s’agit alors de prendre conscience que notre liberté est un don de Dieu à accueillir. Une rencontre à faire au plus intime de soi-même, découvrir en nous celui qui nous connaît mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes, nous aime plus que nous ne nous aimons. Le guide sûr vers l’accomplissement de notre être, puisqu’il l’a créé et qu’il en est la finalité, mais qui de toujours nous veut libres comme ses fils, s’offrant à nous comme le serviteur souffrant, définissant l’amour comme le service à genoux. C’est alors une liberté qui n’est plus qu’accueil, où il s’agit de lâcher prise pour apprendre à tout recevoir de et à tout donner à celui qui donne et reçoit tout. Il s’agit de se dépouiller même des idées précédentes de la liberté – littéralement de se libérer de la liberté naturelle, qu’elle soit égoïste, morale ou altruiste, pour la recevoir entièrement – pauvre à l’extrême – pauvre même de soi, propriétaire de rien – et recevoir celui qui est plus que tout et qui frappe inlassablement à la porte de notre cœur pour pouvoir se donner à nous, celui qui au plus profond de son être, dans le mystère trinitaire, n’est que don, pauvreté, dépouillement d’amour. « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu ». Et dans cette liberté suprême, reçue, les trois autres formes se retrouvent, parfaitement unifiée, la volonté, l’intelligence, les inclinations, la conscience morale se trouvant toute mues par le même moteur : le cœur de chair reçu de Dieu, à la place de notre cœur de pierre. Ces trois autres formes sont alors reçues comme un don nouveau, surnaturel.

Dans la deuxième forme de liberté, la première est tempérée. Dans la troisième elle est contredite – sur le fond tout au moins, c’est-à-dire sur ce qui motive l’action, dans la quatrième toutes sont abandonnées, de toutes nous sommes dépouillés pour les retrouver toutes, unifiées, transfigurées, car reçues.