samedi 14 juillet 2007

Petite méditation sur le Départ Routier

Être routier scout, cela signifie mûrir encore. Notre compréhension de notre départ s’enrichit encore après que nous l’avons pris. En fait, elle commence là, pour ainsi dire : nous ne comprenons le Départ qu’en le vivant, de la même façon que nous ne comprenons notre Promesse que depuis le jour où nous l’avons prononcée. Il faut réfléchir avant, mais il est évident que notre Départ sera à prononcer chaque matin, et que certaines fois, peut-être, nous ne le prononcerons pas. Prendre le départ, ce n’est pas arriver ! C’est partir, pour autre chose. Tout ce que Dieu voudra, où Il voudra, comme Il voudra. C’est demander à Dieu de nous apprendre à aimer et aimer tous les hommes que nous rencontrons.
Notre discipline de vie, c’est ce qui nous permet d’avancer quand plus rien n’a de goût. C’est ce qui permet de grandir dans la difficulté. Car notre discipline doit être exigeante. Pas insurmontable. Adaptée, mais exigeante. De toute façon, le plus dur, c’est le plus petit : se lever à l’heure et penser à Dieu en premier le matin, cinq minutes. C’est sourire quand on est fatigué. Se poser pour prier dix minutes dans la journée. Lire une page d’Évangile et retarder de ce fait de cinq minutes le film qu’on avait prévu. Que c’est dur. Et que c’est facile.
Ne pas être esclave de ses caprices, de son confort, avoir une âme de pauvre… Cela commence peut-être par la discipline de vie : apprendre à donner son temps, à ne pas s’en estimer propriétaire, pas plus que nous ne sommes propriétaires de notre vie. Alors il est plus facile d’être détaché de ces… choses. De notre musique, de notre sport favori, … Avoir une âme de pauvre ce n’est pas forcément tout laisser. C’est être prêt à le faire. Vraiment. Profondément. C’est le faire, de temps en temps, comme un entraînement - « courez, de façon à remporter la couronne de gloire », nous dit Saint Paul : il s’agit bien d’un entraînement, mais l’entraînement est en même temps la compétition elle-même. Notre entraînement à l’amour est notre amour. Le temps que nous prenons à apprendre l’amour est de l’amour. Et ce temps, nous ne nous le consacrons pas… même s’il n’est pas perdu pour nous. C’est avoir une âme de pauvre. Avoir une âme de pauvre, c’est se coucher le soir en se disant qu’on n’a pas eu une minute pour soi. Facile en camp, où les autres nous interpellent sans cesse, plus dur dans la vie quotidienne. Être détaché, c’est aussi savoir quitter ceux que l’on aime dans la joie, parce qu’il le faut bien… parce que c’est la vie, c’est le réel (ne chantons-nous pas d’ailleurs que ce n’est qu’un au revoir, que Dieu saura nous réunir ? Comprenons-nous seulement ce que nous chantons ? Qu’il est dur de ne pas vivre à la surface des choses, surtout des plus petites, comme cette chanson…). Et peut-être qu’au bout du compte, la pauvreté signifiera de tout laisser. Et peut-être pas.
Se conformer au réel, c’est la marque des adultes. Des adultes volontaires et non timorés. Il s’agit de ne pas fuir dans l’imaginaire, mais de vivre notre vie telle qu’elle est et doit être. Ne pas se plaindre. Je ne suis pas assez ceci, je suis trop cela… je devrais … Ah ! Si seulement… Rien de tout cela n’est le réel. Le réel prend tout notre temps et toute notre énergie, sinon elle est gaspillée en futilités. L’amour n’existe que dans le réel. L’amour ne peut être vécue qu’incarnée, confrontée au temps et à nos limitations humaines. Ce n’est pas frustrant : c’est sanctifiant. L’amour d’un homme et d’une femme croît avec le temps, grâce, notamment, aux erreurs. Car les erreurs sont lieu de progrès, si nous savons vivre le pardon, en le demandant ou en l’accordant. Le pardon est un acte des plus durs. Particulièrement réel : il nécessite humilité et sens de la justice. Seigneur, qu’il est beau ton réel, dans ce qu’il a de grand, comme dans ce qui est petit.
Tout acte d’un routier compte et engage. Oui, car tous nos actes s’inscrivent dans le réel. Nous ne perdons pas notre temps : il est à Dieu. Même quand nous prenons le temps – légitime et nécessaire – du repos. La vie est à prendre au sérieux. Nous sommes des hommes et nous communions aux joies de nos frères. Non pas conceptuellement ou dans notre imaginaire, mais face à ceux que nous rencontrons, au travail, sur les bancs de la fac, quand nous allons aider dans le soutient scolaire, ou quand quelqu’un vient nous aider. Quand nous tenons la porte à un inconnu, où que nous prenons le temps d’écouter notre voisin, qui a des problèmes et qui ne sait plus à qui se confier. Partout, c’est le Christ que nous rencontrons. Partout nos actes nous engagent envers le Christ, envers nos frères. Et nous en sommes heureux : partout, nous sommes avec le Christ, serviteurs inutiles que l’on ne remarque même pas, mais que l’on apprécie.
En se confrontant au réel, en vivant comme des engagements chacun de nos actes, nous allons à la rencontre de la vérité. Nous cherchons à la débusquer partout. Car la Vérité, c’est le Christ. Nous pouvons la/le servir en tout. Quand un film sort et salit l’Église, nous pouvons être témoin de la vérité. Quand nous aimons quelqu’un, nous prenons le temps de le connaître en vérité, sinon, ce n’est pas lui que nous aimons : ce sont nos chimères. L’amour exige la vérité. Et nous aimons la vérité, car elle est belle, dure et exigeante. Nous prenons un peu de temps, tous les jours, pour apprendre. Apprendre tout ce qui nous permet de mieux connaître l’homme et le monde. A mieux connaître Dieu, non pas selon ce que nous imaginons, mais tel qu’Il se présente à nous, en vérité, pas en imagination. La vérité est forte, exigeante : elle fait grandir. Elle nous provoque comme témoins, comme apôtres. Oui, un Routier aime de toute ses forces la vérité, et ne peut pas se contenter d’un à peu près entendu d’avance. La vérité est humble. Car elle nécessite le temps et le respect. Connaître quelqu’un impose de le respecter, de prendre le temps de la rencontre, de la découverte. La vérité sur quelqu’un, nous ne pouvons la détenir toute entière ici bas. C’est un fait qui appelle à l’humilité. La Vérité, c’est le Christ, et le Christ est humble jusqu’à naître dans une étable et mourir nu sur une croix. La Croix.
Tout homme nous enseigne un peu plus sur l’homme par ce qu’il est. Si nous savons prendre le temps de la discussion, nous apprenons et nous aimons. Plus l’homme est disgracié, plus il peut être source d’amour. L’homme anéanti, invisible, c’est Toi Seigneur, dans l’hostie. Dieu ! Qu’il est dur d’aimer ceux que nous n’aimons pas assez ! Ceux dont on veut rire, ceux qui nous indignent. Ceux qui ne sont pas d’accord avec nous, et qui ont peut-être raison… Mais que tout homme est beau. Marqué, de façon indélébile, par la marque de son Créateur. Qu’il est beau, ce sourire qui illumine ce visage. Quelles belles traces laissent partout l’amitié, l’amour ! Ce jeune qui s’émerveille de savoir faire une table, notre grand-mère qui a pu passer deux heures à nous raconter son enfance. Cette personne handicapée que nous avons emmenée à la neige et qui riait si horriblement, si bellement. C’était le Christ qui passait, et nous ne le savions pas. Nos cœur n’étaient-ils pas tout brûlant… ? Seigneur, me donneras-tu la force d’aimer cet homme haïssable, qui a tant souffert ? Ajouterai-je à ses souffrance en n’étant pas pour lui le Christ miséricordieux, celui qui écoute la samaritaine, la prostituée ? Comment puis-je consacrer mon temps à autre chose qu’aimer mes frères ? Comment ne suis-je pas déchiré, broyé par l’Amour ?
Seigneur, comme ils sont bons, les défauts des autres, qui m’apprennent à mieux voir les miens, qui me permettent d’endurer pour toi, silencieusement, de si petites choses qu’elles sont déjà au-delà de mes forces. Seigneur, ce Routier, qu’il est… sanctifiant… si tu m’en donnes la grâce, si je te la demande… Mon Dieu, apprends-moi à ne jamais condamner, moi qui ne sait rien. Moi qui aime la vérité, lui court après, mais ne la détiendrai jamais tout à fait… alors comment pourrai-je… condamner ? Seigneur, tu nous demandes d’être des hommes d’amour, de pardon et de patience… comme tu l’as été. Seigneur, fais de nous des miséricordieux, qui obtiennent la miséricorde pour leurs frères, et pour eux… s’il en reste : il y en a si peu, dans ce monde. Seigneur, fais de nous des doux, que nous ne soyons pas honteux. Cette douceur virile qui permet d’aimer les imperfections… et les perfections. Mon Dieu, montre moi ta Gloire dans chaque homme que je rencontre.
Seigneur, dis-moi ce que tu veux que je fasse… que je le fasse.

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