vendredi 4 janvier 2008

on peut être serviteur chrétien, on doit être chrétien serviteur... réflexion chrétienne sur le service

Réflexion chrétienne sur le service
Aimer les autres par-dessus tout, par-delà soi-même, être « serviteur » par toute sa vie, ne peut reposer que sur deux choses. Tout d’abord, ce peut être une prédisposition naturelle, inconsciente en quelque sorte. Cette prédisposition peut être le fruit d’une expérience, d’une éducation, d’un manque ou quelque chose d’obscurément profond en soi qui pousse vers l’autre jusqu’à l’oubli de soi-même. Plusieurs questions émergent face à cette dynamique de vie : quel en est la sincérité ? Si elle est recherche de soi-même, compensation d’un manque, tentative sans cesse renouvelée de séduction, peut-on réellement parler d’amour ? Quelle en sera la longévité ? Reposant sur l’obscur et l’insaisissable, l’inconscient et l’au-delà de la volonté et de l’intelligence, tout peut basculer d’un instant à l’autre sous l’effet d’une lassitude ignorée, d’un égoïsme qui, se déplaçant, ne se satisferait plus d’une attitude altruiste, d’abord valorisante puis qui s’avérerait finalement oppressante. On peut être « serviteur » avec la même légèreté, la même inconscience que ce que trop souvent on entend par « amour », c’est-à-dire de manière infra humaine à force d’être purement sentimentale, motivée par le manque ou la séduction, l’effet produit en soi ou pour soi… J’aime l’autre pour ce qu’il produit en moi d’agréable… est-ce aimer vraiment ? De toute évidence, non. Je sers l’autre pour ce que cela m’apporte… est-ce servir vraiment ? Partiellement, sans doute, mais pas à la racine de l’acte, pas d’une manière qui garantisse la longévité de la logique du service, en fait pas d’une manière consciente, volontaire et libre.
Alors, quelle peut être une deuxième voie qui entraîne au service, et ce de manière vraiment humaine, c’est-à-dire reposant sur une décision ferme, volontaire, réfléchit, engagement de soi mûr et créateur ? Si ce doit être un engagement réfléchi, il faudra bien qu’il soit fondé sur des arguments qui conviennent à l’intelligence, à la raison. Ce seront alors des motifs de sens, métaphysiques ou religieux.
L’illustration la plus immédiate est la logique chrétienne du service. La foi chrétienne repose sur l’amour de l’autre en considérant que le sens de la vie humaine est l’union amoureuse, à Dieu et aux hommes. La foi chrétienne révèle que la nature profonde de l’être humain s’accomplit, se réalise, dans le don de soi, sous toutes ses formes. Dans la foi, nous découvrons que servir et aimer sont en fait une seule et même réalité, que le « […] Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude » (Mc 10, 45). Par le don de la Foi, nous sommes entraîné vers une vie de Charité, vivant ainsi de la vie même de Dieu, et cet engagement se prend dans la perspective de l’Espérance, également reçue. « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est Moi qui vous ai choisis et établis comme mes amis afin que vous alliez et que vous donniez du fruit » (Jn 15, 16). Le serviteur selon l’évangile le devient dans le cadre d’une alliance, c’est-à-dire d’un appel de Dieu auquel son consentement est nécessaire. Dieu nous précède, pour nous appeler et diviniser en nous ce qui est vraiment humain – pour paraphraser Zundel – et fait ainsi du chrétien un serviteur plein, c’est-à-dire engagé librement, consciemment, et pour autant ne reposant pas sur ses seules forces, mais dans l’Action divine, son action prenant sens comme accomplissement de la vie même de Dieu en soi. Sur cette base, reçue de Dieu, le serviteur l’est pleinement, dans les petites comme dans les grandes choses, dans un engagement volontaire, libre et ainsi vraiment humain.
Le serviteur chrétien (pléonasme) réalise ainsi pleinement l’homme libre et croyant, intelligent et engagé, mû tant par sa vie intérieure que par la réalité du monde extérieur. Le service est réponse à un appel, alliance qui démarre, n’en doutons pas, dans les plus petites choses de la vie quotidienne, dans le service apparemment le plus anodin, dans l’écoute la plus plate de notre prochain, dans l’attention aux petites choses, germes et accomplissement de l’action de Dieu en nous, nous ouvrant aux autres afin de réalisez le seul commandement qui compte : « Ce que je vous commande, c'est de vous aimer les uns les autres. »
Il est bien évident qu’en tout chrétien, ces deux attitudes se rencontrent. Telle est la complexité – la misère ? – humaine. Le serviteur chrétien n’existe pas parfaitement dans notre monde. Il est à bâtir en nous sans cesse, dans une démarche de conversion, d’ouverture à l’autre. Dans une inquiétude spirituelle, peut-être, en entendant le Seigneur dire (Mt 25, 34-45) :
« Alors le Roi dira à ceux de droite : Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la fondation du monde. Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous m'avez accueilli, nu et vous m'avez vêtu, malade et vous m'avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir. Alors les justes lui répondront : Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir, assoiffé et de te désaltérer, étranger et de t'accueillir, nu et de te vêtir, malade ou prisonnier et de venir te voir ? Et le Roi leur fera cette réponse : En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l'avez fait à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait. Alors il dira encore à ceux de gauche : Allez loin de moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et ses anges. Car j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à manger, j'ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire, j'étais un étranger et vous ne m'avez pas accueilli, nu et vous ne m'avez pas vêtu, malade et prisonnier et vous ne m'avez pas visité. Alors ceux-ci lui demanderont à leur tour : Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé ou assoiffé, étranger ou nu, malade ou prisonnier, et de ne te point secourir ? Alors il leur répondra : En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous ne l'avez pas fait à l'un de ces plus petits, à moi non plus vous ne l'avez pas fait. »
Puisse le Seigneur nous ouvrir les yeux et le cœur pour Le voir en tous nos frères et sœurs, et Le servir, pour vivre de sa vie même, pour dire avec Paul : « Pour moi, vivre, c’est le Christ ! Ce n’est plus moi qui vis mais c’est le Christ qui vit en moi ! » (Gal 2, 20).