dimanche 12 novembre 2006

Routiers et unité de vie

Pour que Dieu ait sa place dans mes activités, il faut d’abord que mes activités ne prennent pas la place de Dieu. Par exemple, si je fais la fête tard le samedi jusqu’au dimanche matin et que de ce fait je rate la messe… le Christ ne pouvait pas être pleinement présent avec moi cette nuit là : je ne lui ai pas laissé de place dans mes projets.
C’est l’idée d’unité de vie. Il en existe une formulation un peu ironique qu’il faut savoir entendre : « Dieu se rit des hommes qui craignent les conséquences dont ils continuent à chérir les causes » (Fénelon). Ce n’est qu’une manière de parler, bien sûr : Dieu ne se rit pas de nous. Mais ce que Fénelon nous dit là c’est que si nous avons le désir de vivre en chrétien, c’est à dire dans l’amour de Dieu et de nos frères et sœurs, notre vie doit être cohérente.
Il s’agit de mettre en cohérence nos désirs profonds et nos actions. Il ne faut pas tomber dans un volontarisme ou un activisme absurdes, orgueilleux. Il s’agit de la simple recherche, sage et lente, de l’unité de notre vie.
Prendre les moyens humains d’avoir une vie cohérente et unifiée par le Christ. C’est le cri de cet homme de l’évangile : « je crois, Seigneur, viens en aide à mon incroyance » : le Christ est celui en qui nous croyons, en qui nous avons confiance, et en même temps celui qui nous donne la foi et la force de vivre la foi, d’en vivre. Sans cette attitude, cette recherche, il perdurera toujours une division entre notre être profond, fait pour Dieu, pour l’amour, et nos envies immédiates, qui tairont l’amour pour y mettre de l’égoïsme ou de l’orgueil, de façon parfois très subtile. Sur la route de l’unité, Dieu nous précède, nous guide et vient à notre rencontre tout à la fois – Père, Fils et Saint-Esprit.
Cette unité de vie n’est pas un but en soi, mais la conséquence naturelle de la vie d’amour. Voulue pour elle-même, elle ne serait qu’un moralisme raffiné, mais vécue comme conséquence de notre amour, elle est un lieu éminent de maturation humaine et spirituelle (si tant est qu’on puisse séparer les deux !) puisqu’il s’agit de vivre toujours plus d’amour, c’est à dire de Dieu : de le laisser prendre la place qui lui revient, toute la place. Cela peut faire peur, ce qui est naturel : on ne sait pas vers quoi l’on va et c’est là que la confiance en Dieu, la foi, intervient ; c’est un lieu de croissance de notre foi. On peut ne pas le vouloir, se pose alors la question du Christ à Pierre : « m’aimes-tu ? ». Vouloir ou ne pas vouloir, c’est l’exercice même de notre liberté : je peux accepter ou refuser. C’est l’amour. L’amour est affaire de volonté. L’amour est l’expression de nos sentiments profonds, portés, soutenus et approfondis par notre volonté. L’essence de l’amour, c’est d’être libre et une décision libre repose sur cette simple alternative : je veux, je ne veux pas. Bien sûr, notre volonté n’est pas toute puissante et nos décisions, nous ne pouvons les tenir qu’avec la grâce de Dieu. Nous nous heurtons à nos limites, nos imperfections et notre péché… et la réponse du Seigneur, c’est de courir vers nous, de nous embrasser ; de pardonner et d’oublier : seule, compte l’amour.
Bâtir notre vie dans l’amour, dans l’unité, cela suppose d’en prendre les moyens. La Route nous en propose plusieurs. D’abord : le parrain. Le parrain, par son expérience, ses questions, ce qu’il souligne dans notre vie et notre façon de cheminer vers le départ, nous aide à objectiver notre expérience, nos sentiments. Il apporte l’expérience de celui qui a déjà cheminé, non pas tout à fait sur la même route que nous, mais sur une route d’homme en recherche de l’amour de Dieu et de ses frères. Ensuite, le texte du départ routier, lui-même, transpire l’unité de vie : « conformer ses pensées aux exigences du réel », « tout acte d’un routier compte et engage », « ne mépriser personne » (vivre toutes ses relations dans l’amour), « s’engager dans une vocation » (vivre toute notre vie dans un mouvement d’unité qui trouve sa source dans l’amour de Dieu). On pourrait relire tout le départ à cette lumière. Autre moyen, fondamental, c’est la relecture de notre vie : mes actes, mes décisions, sont-ils en cohérence avec l’amour ? Cette relecture, nous pouvons la faire avec notre parrain, notre « Père spi » : celui qui par son expérience, son écoute, nous aide à avancer et à discerner dans notre vie ; en quelque sorte, la caisse de résonance spirituelle. Cette relecture, c’est l’unité de vie vécue au quotidien.
Vivre d’amour, c’est à dire du don de soi, ne peut que détruire nos replis sur nous-même et nous rendre toujours plus disponible aux autres et au Tout-Autre. À commencer par les plus petits détails de notre vie, pour finalement atteindre le plan même de toute notre existence, ce que l’on appelle la vocation. Comment entendre l’appel de Dieu, si l’on est sourd à l’amour au quotidien, au service de nos frères ? L’unité de vie est ainsi un lieu de discernement, de préparation et de réponse à notre vocation, quelle qu’elle soit.
Et cette unité de vie, nous ne la gardons pas pour nous-même. Étant l’amour en acte au plus profond de notre vie et de nos activités, elle rejaillit au dehors, source d’unité entre les hommes, participant ainsi à la réalisation de la prière du Christ « que tous soient un, Père, comme Toi et moi nous sommes un ».

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