lundi 19 décembre 2016

Les frères de Jésus

Le nouveau testament mentionne à plusieurs reprises les "frères de Jésus" -- ou ses sœurs -- en utilisant le mot grec adelphos qui signifie, au sens strict, frères nés des mêmes parents. Sur cette base est née l'idée que Jésus avait eu des frères et sœurs, enfants de Joseph et Marie, puisque c'est ce que le sens de ce mot suggère en grec.

Néanmoins l'enseignement chrétien traditionnel est que Jésus n'a pas eu de frères ou de sœurs nés de Marie. En 380, quand Helvidius affirme que les frères de Jésus sont de Marie et Joseph, saint Jérôme décrit l'idée comme nouvelle, suggérant que cette interprétation n'avait jamais été faite jusqu'alors. Voyons ici quelques uns des arguments qui plaident en ce sens.

Tout d'abord, il faut se méfier de tirer une conclusion du seul emploi d'un mot pris en son sens strict. Le Nouveau Testament est un ensemble de documents écrits par divers auteurs d'origine juive ou profondément pénétrés de cette culture et rien ne garantit qu'ils utilisent les mots uniquement dans leur sens "académique". Il est donc hasardeux de fonder la conclusion à la question des frères et sœurs de Jésus sur la seule base du sens classique d'un mot, ce qui constituerait une simplification outrancière de ce que l'on sait de l'évolution des langues et de leur emploi par les hommes issus de différentes cultures.

Justement, dans la culture juive de l'époque - l'araméen ne possédait pas de mot distinguant les cousins des frères - le mot frère était utilisé dans un sens très étendu, qui pouvait inclure cousins, oncle, etc.
De fait, le mot grec adelphos, qui signifie "frère" en son sens premier, est souvent utilisé dans un sens beaucoup plus large (cousin(e)s, oncles et tantes, etc.) suivant les situations. Dans la septante, il apparaît que les auteurs peuvent utiliser adelphos pour cousins et le grec des évangiles et des actes sont influencés par la septante, donc d'un point de vue du vocabulaire, il n'y a pas de vraie objection à l'idée que "adelphos" puisse être utilisé pour cousin. Par exemple, dans la septante, Lévitique 10:4 utilise une forme d'adelphos pour dire cousin, de Moïse et Aaron, dans 1 Chronique 23:22 les cousins de la fille d'Éléazar sont appelés adelphoi, dans Tobie 7:2-4 anepsios (qui signifie cousin en grec) et adelphos sont utilisés comme des synonymes en deux versets. Or, le grec du Nouveau Testament est très influencé par le grec de la septante ce qui invite donc à la prudence concernant le sens du mot adelphos, qui peut varier. Pour la question des frères et sœurs de Jésus, il est bon, ainsi, d'examiner de plus près le texte.

Tout d'abord, il faut bien prêter attention à un fait tout simple : nulle part les écritures ne contiennent-elles des expressions équivalentes à "X, fils de Marie, frère de Jésus" ou bien "Marie, mère de Jésus et X". Marie, la mère de Jésus, est toujours présentée comme seulement la mère de Jésus et aucun des frères et sœurs de Jésus n'est réputé avoir mêmes père et mère.

1) Des passages qui posent problème à l'idée que Marie ait eu d'autres enfants que Jésus

Lors de la crucifixion, Jésus remet à Jean sa mère (Jn 19, 25-27) et le texte dit bien que le disciple la prend chez lui. Par-delà le sens théologique, que l'on peut discuter, l'idée que des enfants de Marie pourraient la laisser être recueillie par un autre qu'un membre de leur famille après la mort de Jésus est une aberration dans la culture juive - de l'époque et d'aujourd'hui - et lorsque Jésus la confie à Jean et réciproquement, c'est un signe clair qu'il n'a pas de frère ou de sœur nés de Marie.

Un autre passage qui pose problème à la théorie que Marie a eu d'autres enfants est la question qu'elle pose lors de l'annonciation. Elle est promise en mariage à Joseph - au stade où ils en sont, ce en sont plus de simples fiançailles mais ils ont franchi une étape du mariage selon les coutumes de l'époque, étape qui précède le partage du domicile. Néanmoins, lorsque l'ange lui déclare qu'elle va "enfanter un fils" elle demande "comment cela se fera-t-il puisque je ne connais pas d'homme ?" (cf. Lc 1, 26-38). Si Marie est destinée au mariage et compte avoir des enfants avec Joseph, sa question est purement et simplement absurde. Elle semble plutôt indiquer que Marie s'est donnée totalement à Dieu et n'envisage pas d'avoir d'enfant, en dépit de son mariage avec Joseph.

Dans un passage de l'enfance, celui où Jésus se trouve parmi les docteurs (cf Lc 2, 41-50), on note qu'aucune mention n'est faite de frères ou de sœurs de Jésus, ni d'autres enfants de Joseph ou Marie. D'autre part le récit affirme que Joseph et Marie se rendaient chaque année à Jérusalem pour la Pâque, ce qui paraît délicat si l'on considère que, selon la liste vue plus haut, Jésus avait eu quatre frères et un nombre non précisés de sœurs nés de la même mère.

En Mc 6,3, les compatriotes de Jésus disent de lui qu'il est "le" fils de Marie et pas "un" fils de Marie, l'article "le" - ou plutôt son équivalent grec - suggérant que cette dernière n'a qu'un fils.

Dans les passages où apparaissent les frères de Jésus, on s'aperçoit qu'ils donnent des conseils à Jésus, ce qui indique - dans la culture du temps - qu'ils sont plus âgés que lui (cf. Jn 7,3-4 et Mc 3,21) et ne seraient alors pas nés de Marie.

2) Mais que penser alors de ces autres passages ?

Qu'en est-il donc des passages qui mentionnent des frères et sœurs de Jésus ?

On trouve en Mt 13,55 une liste des frères de Jésus: "Jacques, Joseph, Simon et Judas". Mais si l'on poursuit la lecture, en 27,56, Matthieu introduit "Marie, mère de Jacques et Joseph" et il ne s'agit pas de Marie, mère de Jésus, puisqu'elle n'est jamais appelée ainsi et il n'y a pas d'autres "Jacques et Joseph" dans cet évangile. Cela indique que Jacques et Joseph n'ont pas la même mère que Jésus, bien que toutes les deux s'appellent Marie (prénom féminin le plus répandu à l'époque dans le pays).

De même, Paul fait référence à l'apôtre Jacques, frère du Seigneur, en Gal 1, 17-19, or, aucun des douze n'est né des mêmes parents que Jésus (cf. par exemple Mt 10, 2-4). En revanche, il faut noter qu'il y a un flou sur le sens exact du mot apôtre au sein de l'Église, à ce stade. Il peut avoir deux sens, mais l'événement auquel Paul se réfère - sa visite à Jérusalem auprès de Pierre - se déroule quelques années à peine après la résurrection et on peut raisonnablement considérer que "apôtre" s'entend ici au sens de "l'un des douze". Si tel est le cas, à nouveau, le mot frère est utilisé dans son sens étendu, conformément aux usages araméens de l'époque.

3) À quoi bon ?

Après ce rapide examen de la situation, il apparaît que la position chrétienne traditionnelle qui tient que Marie n'a pas eu d'autres enfants que Jésus soit fondée scripturairement - et elle l'est aussi historiquement, selon ce que nous avons évoqué dans l'introduction. Les raisons profondes pour lesquelles ces points ont une importance sont relatives au Christ, comme tout ce qui touche à Marie (cf. l'article sur la sainte vierge dans les écritures). Jésus aurait tout à fait pu avoir des frères et sœurs sans que cela porte atteinte à sa divinité en tant que telle, n'est-ce pas ? C'est à voir. Dans la logique que développe toute la bible, la sainteté de Dieu est telle que ce qu'Il a touché de sa présence ne saurait être profané - ainsi en allait-il de l'Arche d'Alliance de la première Alliance, de même en va-t-il avec l'Arche de la Nouvelle Alliance. Ainsi, la virginité perpétuelle de Marie enseignée par l'Église est un témoignage rendue à la divinité du Christ et à l'action toute particulière de Dieu en Marie. C'est aussi une invitation à chercher le sens sacré du rôle de la mère de Dieu, conféré non par ses mérites mais par la grâce toute extraordinaire que lui a accordé Dieu - et à travers elle, à nous tous - en prenant chair de sa chair.

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