samedi 21 juillet 2007

L'avortement

De fait la réflexion philosophique, ou plutôt légale, moderne sur la question de la définition du début de la vie est bloquée pour des problèmes idéologiques : il faudrait regarder en face la violence de la réalité de l'avortement, violence faite aux mères comme aux enfants à naître et même aux équipes médicales qui travaillent dans les services d'orthogénie (l'analogie avec le mot eugénisme laisse rêveur), sur tous ces points la réalité du terrain est bien loin des discours idéologiques : elles est tissée de la souffrance des différents acteurs face à ce « geste ». D’ailleurs, dans les faits on assiste à des aberrations qui sont que pour les parents qui décident de garder leur enfant, le médecin le qualifie de bébé des le début du processus, mais si l’avortement est envisagé, il est qualifié de fœtus, ou d’embryon selon les cas. Humainement, l’avortement est un drame, mais c’est inaudible dans notre société actuelle et source de souffrance pour ceux et celles qui le vivent : les témoignages sont nombreux, mais inaudibles idéologiquement. La première chose à pouvoir entendre dans notre société malade, ce seraient les souffrances des femmes qui ont subi l’avortement…

La lecture du discours fait par S. Veil reflète une défense basée sur l’idée que l’avortement est mauvais en lui-même mais la décision de voter la loi de dépénalisation était basée sur une réalité qui était que les femmes qui voulaient avorter devaient avoir recourt à des non professionnels ce qui était dangereux. Simone Veil avait alors émis le vœu que les générations à venir pourrait trouver une méthode plus « satisfaisante » - je n’ai plus les mots exacts en tête – mais de fait, l’avortement était clairement conçu, du moins dans le discours, comme quelque chose à éviter… soit elle nous mentait, soit on a évolué philosophiquement sur ces questions sans que le débat ait été tenu sur la place publique, ce qui est assez gênant pour des questions aussi grave (dans une démocratie, soit dit en passant).

D’un point de vue biologique, il est absurde de définir l’humain après les neufs mois réglementaires. Si c’est le cas, force est de constater qu’on dépense des fortunes inutilement en essayant de préserver des fœtus nés avant terme et donc non humain selon la lettre de cette théorie, fortunes qui seraient alors bien mieux dépensées ailleurs que pour des amalgames de tissus pré-humains. En outre, que signifie le mot viable ? Laissez un enfant seul après sa naissance, vous verrez s’il est viable… Cette notion est absurde, elle repose sur l’illusion créée par le changement du mode de respiration, un point c’est tout. Il n’y a qu’à regarder les films d’échographies en cours d’avortement pour constater que « l’embryon » se débat vigoureusement : s’il n’est pas vivant et autonome dans le sens du désir de survie, cela y ressemble drôlement. Au plan biologique, le développement de la personne ne connaît qu’un seul saut qualitatif : celui de la fécondation. A partir de la, le développement se fait par différenciation des tissus et des cellules de façon continue et ce n’est que par une décision arbitraire que l’on décide de fixer à une certaine date la limite légale de l’avortement, la preuve est qu’en pratique on la recule sous l’effet de groupes de pression mais sans la moindre argumentation de fond. Par ailleurs, les choses ne sont pas toujours clairement dites : pour toute malformation l’avortement est autorise jusqu'à la veille de la naissance, le délais légal porté de 10 à 12 semaines par la loi Aubry concerne l’avortement décidé sans qu’il y ait de « motif médical » du coté de l’enfant. On peut d’ailleurs s’interroger sur le sens d’une médecine qui prétend soigner en tuant le patient ? De fait, l’avortement dit « thérapeutique » porte atteinte non à la maladie (comme c’est le but d’une thérapie) mais au malade : les mots sont détournés, cela évite de regarder la réalité en face.

En outre, notre société évoque de temps en temps le mirage d’un spectre horrible : l’eugénisme, nous éreintant sous les invocations pour ne pas tomber dans cette monstruosité. J’aimerais qu’on m’explique en quoi la décision de ne pas laisser naître un enfant sur critère médical n’est pas un fait eugénique ? J’attends les arguments avec impatience, assez curieux de voir à quelles pirouettes verbales il va falloir se livrer pour défendre le point de vue contraire… Mais toute l’histoire de l’avortement repose sur de telles esquives et appels à des grands sentiments, sans s’être jamais fondée ni sur la réalité vécue par les femmes et les services médicaux ni sur la moindre réflexion philosophique digne de ce nom. L’expression « droit de disposer de mon corps » cache la réalité que dans l’avortement, on ne dispose pas du corps de la femme mais de celui de l’enfant, c’est un fait matériel, génétique. La loi qualifie d’interruption volontaire de grossesse (IVG) l’avortement effectué par décision de la mère sans que cela repose sur le moindre critère médical. Interruption médicale de grossesse (IMG) l’avortement – possible a tout moment – réalisé en raison d’une malformation détectée chez l’enfant. Enfin, il existe l’interruption thérapeutique de grossesse, réalisée quand le développement de l’enfant met en danger la survie de la mère. Ce dernier cas apparaît moralement acceptable, soit dit-en passant, même s’il reste souvent dramatique pour la mère : la nature humaine a ses lois propres, quoiqu’en pensent les idéologues.

En pratique, la loi prévoit (yait) un entretien obligatoire pour présenter des solutions alternatives, afin que n’avortent pas des femmes qui y seraient contraintes pour des raisons financières. Dans les faits, tout est mis en place pour que cela ne soit pas possible et nombre de centres hospitaliers ne connaissent même pas ces dispositions et ne sont dotés d’aucune structure pour amener sur la table la moindre alternative à l’avortement. Idéologie quand tu nous tiens…

La machine idéologique s’est emballée, entraînant un cortège de souffrances inavouables et inaudibles mais d’autant plus profondes. Dans notre société qui se prétend humaniste, on jette au visage des femmes déprimées et blessées jusque dans leur chair par l’avortement qu’elles ne sont pas suffisamment libérées… j’imagine qu’elles ne sont pas suffisamment libérées de leur nature et de leur corps, et que cette libération consiste à ne pas écouter notre réalité charnelle profonde.
Site Internet intéressant pour une présentation alternative :

http://www.survivants.com

Laissons le mot de la fin au pape, c’est plutôt pas mal en général :

« Fréquemment, la femme est soumise à des pressions tellement fortes qu'elle se sent psychologiquement contrainte à consentir à l'avortement: sans aucun doute, dans ce cas, la responsabilité morale pèse particulièrement sur ceux qui l'ont forcée à avorter, directement ou indirectement. De même les médecins et le personnel de santé sont responsables, quand ils mettent au service de la mort les compétences acquises pour promouvoir la vie.

« Mais la responsabilité incombe aussi aux législateurs, qui ont promu et approuvé des lois en faveur de l'avortement et, dans la mesure où cela dépend d'eux, aux administrateurs des structures de soins utilisées pour effectuer les avortements. Une responsabilité globale tout aussi grave pèse sur ceux qui ont favorisé la diffusion d'une mentalité de permissivité sexuelle et de mépris de la maternité, comme sur ceux qui auraient dû engager — et qui ne l'ont pas fait — des politiques familiales et sociales efficaces pour soutenir les familles, spécialement les familles nombreuses ou celles qui ont des difficultés économiques et éducatives particulières. On ne peut enfin sous-estimer le réseau de complicités qui se développe, jusqu'à associer des institutions internationales, des fondations et des associations qui luttent systématiquement pour la légalisation et pour la diffusion de l'avortement dans le monde. Dans ce sens, l'avortement dépasse la responsabilité des individus et le dommage qui leur est causé, et il prend une dimension fortement sociale: c'est une blessure très grave portée à la société et à sa culture de la part de ceux qui devraient en être les constructeurs et les défenseurs.
« […] l'enjeu est si important que, du point de vue de l'obligation morale, la seule probabilité de se trouver en face d'une personne suffirait à justifier la plus nette interdiction de toute intervention conduisant à supprimer l'embryon humain. Précisément pour ce motif, au-delà des débats scientifiques et même des affirmations philosophiques à propos desquelles le Magistère ne s'est pas expressément engagé, l'Eglise a toujours enseigné, et enseigne encore, qu'au fruit de la génération humaine, depuis le premier moment de son existence, doit être garanti le respect inconditionnel qui est moralement dû à l'être humain dans sa totalité et dans son unité corporelle et spirituelle. »

Tire de « l’évangile de la vie ».

Je voudrais illustrer le dernier point, qui n’est autre que le principe de précaution appliqué à l’avortement. Voici une analogie possible : je n’ai moralement pas le droit de tirer avec une arme à feu sur une cabane en bois dont je ne peux garantir qu’elle est vide : risquant de tuer quelqu’un, si cela se produit, je serai coupable à tout le moins de négligence criminelle. Cela paraît simple, au fond ? Partant de là, sauf à pouvoir démontrer sans l’ombre d’un doute possible que l’embryon ou le fœtus présent dans l’utérus de la mère n’est pas humain, l’avortement est, dans le meilleur des cas, une négligence criminel. Dans le pire, positivement un crime.

En réalité, la loi Veil n'était en fait que le premier pas d'une manoeuvre politique et idéologique qui a parfaitement abouti, véritable arnaque philosophique et morale difficile à discuter dans l'ambiance de pensée unique de notre société revenue de tout qui ne trouve plus que son nombril comme guide éthique. Et comme le disait une connaissance de forum, « le nombril, c’est encore viser un peu trop haut »…

samedi 14 juillet 2007

Puissance...

C'est le raisonnement en "puissance" qui ne peut pas aboutir dans le cas de la révélation chrétienne. Le Christ ne nous présente pas un dieu de puissance, écrasant et dominateur, mais un dieu d'amour, a genou devant l'homme, dans la position du serviteur, soucieux de favoriser sa liberté et donc de ne pas l'écraser par la puissance ni d'atteindre a notre condition d'homme, qui fait de nous un élément de cet univers et qui contient ces choses terribles. Le Christ ne nous décharge pas de la souffrance : ou serait notre liberté, alors, entre un dieu papa gâteau et un monde torture ? Par contre, ce qu'il fait, c'est qu'il nous rejoint dans la souffrance. S'il ne peut la faire disparaître, par contre il peut nous y rejoindre. "Ce que vous avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est a moi que vous l'avez fait" : il nous y rejoint même de façon très mystérieuse, puisqu'il nous invite a croire qu'il est avec nous au présent, au quotidien de nos vie, de manière voilée.
"Bien tard je t'ai aimée, ô beauté si ancienne et si nouvelle,
Bien tard je t'ai aimée !
Et voici que tu étais au-dedans, et moi au-dehors
et c'est là que je te cherchais,
et sur la grâce de ces choses que tu as faites,
pauvre disgracié, je me ruais !
Tu étais avec moi et je n'étais pas avec toi ;
elles me retenaient loin de toi, ces choses qui pourtant,
si elles n'existaient pas en toi, n'existeraient pas !
Tu as appelé, tu as crié et tu as brisé ma surdité ;
tu as brillé, tu as resplendi et tu as dissipé ma cécité ;
tu as embaumé, j'ai respiré et haletant j'aspire à toi ;
j'ai goûté, et j'ai faim et j'ai soif ;
tu m'as touché, et je me suis enflammé pour ta paix. "
St Augustin. Le Christ ne nous fait pas rencontrer un dieu de puissance, extérieur et écrasant, mais nous invite a la rencontre d'un Dieu souffrant, intérieur, renversant nos catégories : elle est la, la conversion, dans ce renversement de nos catégories et dans l'ouverture que cela provoque, existentiellement, c'est a dire que réellement je modifie mes actes pour les conformer a ma foi (il n'y a pas de foi sans les oeuvres, cf. St Jean... et puis c'est du bon sens ! Si on ne fait pas, c'est qu'on n'y croit pas) qui est de vivre de l'amour du Christ envers toute personne.
Le problème, bien sur, c'est que ce retournement est incroyablement difficile, puisqu'il va a l'encontre de notre orgueil, de nos égoïsmes, de nos lâchetés, de notre confort... et en même temps, on sait combien l'amour humain est déjà un incroyable moteur de "conversion" a l'autre. Dieu, lui, est le Tout Autre, qui nous invite donc au Tout Amour, dans sa radicale différence, par delà tous les racismes. Aimer ses ennemis...

Un événement d'actualité : Noël

Dieu s’est fait homme ! Arrêtons-nous quelques instants auprès du petit enfant qui se trouve là, couché dans la crèche. Ce n’est pas la première fois que nous voyons un enfant, ni même la première fois que nous pensons au « petit Jésus ». Mais arrêtons-nous.
Il est là, tout petit, faible et dépendant, allongé dans la paille, emmailloté de linges par sa mère. Les yeux fermés, les poings serrés il dort et sa respiration est si légère que nous l’entendons à peine. Cet enfant, faible et dépendant… c’est Dieu.
 

As-tu remarqué comme quand il y a un tout petit enfant quelque part, tout le monde est attiré par lui, s’occupe de lui et se réjouit ? Les gens sont heureux et l’observent attentivement, qu’il mange, qu’il joue, qu’il dorme, qu’il essaye de parler… tous les regards gravitent autour de lui. C’est le mystère de la vie naissante, qui rend heureux et réjouit les cœurs. Et nous qui allons accueillir le Seigneur à Noël, allons-nous nous réjouir de cette même joie ? Dieu est là, petit enfant, va-t-il susciter en nous cet élan d’amour si naturel ? Imagine simplement la scène : l’enfant dort et tu es là, près de lui ; et cet enfant fragile, c’est Dieu. Dieu qui nous aime tellement qu’il nous rejoint pour susciter notre amour, nous invite à s’arrêter auprès de lui et à transformer un peu notre cœur. Ce Dieu qui voudrait bien que nous nous arrêtions près de son berceau pour nous réjouir de sa présence et grandir dans son amour, dans l’amour de tous nos frères et sœurs…
 

Ce Noël, il est comme tous les autres auparavant, et il y en aura bien d’autres après… Nous pensons à la fête, aux réjouissances familiales… et Dieu nous attend dans la crèche. Ce petit enfant ne peut que mendier notre amour d’un regard, si nous voulons bien croiser le sien, ne fût-ce qu’un instant. Et si nous le croisons, alors ce Noël ne sera certainement pas comme les autres. Rester auprès de Jésus bébé, se réjouir de sa présence et entrer dans le mystère de sa naissance ne peut que nous apprendre à aimer plus et mieux. A être plus attentifs aux autres. Ce Noël, tu aideras peut-être une association pour personnes en difficulté, à moins que tu ailles animer une soirée dans une maison de retraite… quand tu le feras, fais-le en pensant au petit enfant Dieu. Amène avec toi la joie de savoir que Dieu s’est fait petit enfant et que tu peux être le messager (être le messager d’un petit bébé, nous en sommes peut-être capables ?), le messager, donc, de son amour auprès des gens que tu rencontres, par ton regard, par tes mots, par tes attentions, tes services… Alors vraiment la joie de Noël prendra tout son sens : celui de l’amour fou de Dieu pour chacun d’entre nous, de Dieu qui nous rencontre personnellement. Soyons des messagers de l’amour de Dieu auprès des gens avec qui nous vivons ou que nous côtoyons. Au fond, ce n’est pas difficile : il suffit de prendre le temps de s’arrêter et de contempler Dieu dans la crèche…

Petite méditation sur le Départ Routier

Être routier scout, cela signifie mûrir encore. Notre compréhension de notre départ s’enrichit encore après que nous l’avons pris. En fait, elle commence là, pour ainsi dire : nous ne comprenons le Départ qu’en le vivant, de la même façon que nous ne comprenons notre Promesse que depuis le jour où nous l’avons prononcée. Il faut réfléchir avant, mais il est évident que notre Départ sera à prononcer chaque matin, et que certaines fois, peut-être, nous ne le prononcerons pas. Prendre le départ, ce n’est pas arriver ! C’est partir, pour autre chose. Tout ce que Dieu voudra, où Il voudra, comme Il voudra. C’est demander à Dieu de nous apprendre à aimer et aimer tous les hommes que nous rencontrons.
Notre discipline de vie, c’est ce qui nous permet d’avancer quand plus rien n’a de goût. C’est ce qui permet de grandir dans la difficulté. Car notre discipline doit être exigeante. Pas insurmontable. Adaptée, mais exigeante. De toute façon, le plus dur, c’est le plus petit : se lever à l’heure et penser à Dieu en premier le matin, cinq minutes. C’est sourire quand on est fatigué. Se poser pour prier dix minutes dans la journée. Lire une page d’Évangile et retarder de ce fait de cinq minutes le film qu’on avait prévu. Que c’est dur. Et que c’est facile.
Ne pas être esclave de ses caprices, de son confort, avoir une âme de pauvre… Cela commence peut-être par la discipline de vie : apprendre à donner son temps, à ne pas s’en estimer propriétaire, pas plus que nous ne sommes propriétaires de notre vie. Alors il est plus facile d’être détaché de ces… choses. De notre musique, de notre sport favori, … Avoir une âme de pauvre ce n’est pas forcément tout laisser. C’est être prêt à le faire. Vraiment. Profondément. C’est le faire, de temps en temps, comme un entraînement - « courez, de façon à remporter la couronne de gloire », nous dit Saint Paul : il s’agit bien d’un entraînement, mais l’entraînement est en même temps la compétition elle-même. Notre entraînement à l’amour est notre amour. Le temps que nous prenons à apprendre l’amour est de l’amour. Et ce temps, nous ne nous le consacrons pas… même s’il n’est pas perdu pour nous. C’est avoir une âme de pauvre. Avoir une âme de pauvre, c’est se coucher le soir en se disant qu’on n’a pas eu une minute pour soi. Facile en camp, où les autres nous interpellent sans cesse, plus dur dans la vie quotidienne. Être détaché, c’est aussi savoir quitter ceux que l’on aime dans la joie, parce qu’il le faut bien… parce que c’est la vie, c’est le réel (ne chantons-nous pas d’ailleurs que ce n’est qu’un au revoir, que Dieu saura nous réunir ? Comprenons-nous seulement ce que nous chantons ? Qu’il est dur de ne pas vivre à la surface des choses, surtout des plus petites, comme cette chanson…). Et peut-être qu’au bout du compte, la pauvreté signifiera de tout laisser. Et peut-être pas.
Se conformer au réel, c’est la marque des adultes. Des adultes volontaires et non timorés. Il s’agit de ne pas fuir dans l’imaginaire, mais de vivre notre vie telle qu’elle est et doit être. Ne pas se plaindre. Je ne suis pas assez ceci, je suis trop cela… je devrais … Ah ! Si seulement… Rien de tout cela n’est le réel. Le réel prend tout notre temps et toute notre énergie, sinon elle est gaspillée en futilités. L’amour n’existe que dans le réel. L’amour ne peut être vécue qu’incarnée, confrontée au temps et à nos limitations humaines. Ce n’est pas frustrant : c’est sanctifiant. L’amour d’un homme et d’une femme croît avec le temps, grâce, notamment, aux erreurs. Car les erreurs sont lieu de progrès, si nous savons vivre le pardon, en le demandant ou en l’accordant. Le pardon est un acte des plus durs. Particulièrement réel : il nécessite humilité et sens de la justice. Seigneur, qu’il est beau ton réel, dans ce qu’il a de grand, comme dans ce qui est petit.
Tout acte d’un routier compte et engage. Oui, car tous nos actes s’inscrivent dans le réel. Nous ne perdons pas notre temps : il est à Dieu. Même quand nous prenons le temps – légitime et nécessaire – du repos. La vie est à prendre au sérieux. Nous sommes des hommes et nous communions aux joies de nos frères. Non pas conceptuellement ou dans notre imaginaire, mais face à ceux que nous rencontrons, au travail, sur les bancs de la fac, quand nous allons aider dans le soutient scolaire, ou quand quelqu’un vient nous aider. Quand nous tenons la porte à un inconnu, où que nous prenons le temps d’écouter notre voisin, qui a des problèmes et qui ne sait plus à qui se confier. Partout, c’est le Christ que nous rencontrons. Partout nos actes nous engagent envers le Christ, envers nos frères. Et nous en sommes heureux : partout, nous sommes avec le Christ, serviteurs inutiles que l’on ne remarque même pas, mais que l’on apprécie.
En se confrontant au réel, en vivant comme des engagements chacun de nos actes, nous allons à la rencontre de la vérité. Nous cherchons à la débusquer partout. Car la Vérité, c’est le Christ. Nous pouvons la/le servir en tout. Quand un film sort et salit l’Église, nous pouvons être témoin de la vérité. Quand nous aimons quelqu’un, nous prenons le temps de le connaître en vérité, sinon, ce n’est pas lui que nous aimons : ce sont nos chimères. L’amour exige la vérité. Et nous aimons la vérité, car elle est belle, dure et exigeante. Nous prenons un peu de temps, tous les jours, pour apprendre. Apprendre tout ce qui nous permet de mieux connaître l’homme et le monde. A mieux connaître Dieu, non pas selon ce que nous imaginons, mais tel qu’Il se présente à nous, en vérité, pas en imagination. La vérité est forte, exigeante : elle fait grandir. Elle nous provoque comme témoins, comme apôtres. Oui, un Routier aime de toute ses forces la vérité, et ne peut pas se contenter d’un à peu près entendu d’avance. La vérité est humble. Car elle nécessite le temps et le respect. Connaître quelqu’un impose de le respecter, de prendre le temps de la rencontre, de la découverte. La vérité sur quelqu’un, nous ne pouvons la détenir toute entière ici bas. C’est un fait qui appelle à l’humilité. La Vérité, c’est le Christ, et le Christ est humble jusqu’à naître dans une étable et mourir nu sur une croix. La Croix.
Tout homme nous enseigne un peu plus sur l’homme par ce qu’il est. Si nous savons prendre le temps de la discussion, nous apprenons et nous aimons. Plus l’homme est disgracié, plus il peut être source d’amour. L’homme anéanti, invisible, c’est Toi Seigneur, dans l’hostie. Dieu ! Qu’il est dur d’aimer ceux que nous n’aimons pas assez ! Ceux dont on veut rire, ceux qui nous indignent. Ceux qui ne sont pas d’accord avec nous, et qui ont peut-être raison… Mais que tout homme est beau. Marqué, de façon indélébile, par la marque de son Créateur. Qu’il est beau, ce sourire qui illumine ce visage. Quelles belles traces laissent partout l’amitié, l’amour ! Ce jeune qui s’émerveille de savoir faire une table, notre grand-mère qui a pu passer deux heures à nous raconter son enfance. Cette personne handicapée que nous avons emmenée à la neige et qui riait si horriblement, si bellement. C’était le Christ qui passait, et nous ne le savions pas. Nos cœur n’étaient-ils pas tout brûlant… ? Seigneur, me donneras-tu la force d’aimer cet homme haïssable, qui a tant souffert ? Ajouterai-je à ses souffrance en n’étant pas pour lui le Christ miséricordieux, celui qui écoute la samaritaine, la prostituée ? Comment puis-je consacrer mon temps à autre chose qu’aimer mes frères ? Comment ne suis-je pas déchiré, broyé par l’Amour ?
Seigneur, comme ils sont bons, les défauts des autres, qui m’apprennent à mieux voir les miens, qui me permettent d’endurer pour toi, silencieusement, de si petites choses qu’elles sont déjà au-delà de mes forces. Seigneur, ce Routier, qu’il est… sanctifiant… si tu m’en donnes la grâce, si je te la demande… Mon Dieu, apprends-moi à ne jamais condamner, moi qui ne sait rien. Moi qui aime la vérité, lui court après, mais ne la détiendrai jamais tout à fait… alors comment pourrai-je… condamner ? Seigneur, tu nous demandes d’être des hommes d’amour, de pardon et de patience… comme tu l’as été. Seigneur, fais de nous des miséricordieux, qui obtiennent la miséricorde pour leurs frères, et pour eux… s’il en reste : il y en a si peu, dans ce monde. Seigneur, fais de nous des doux, que nous ne soyons pas honteux. Cette douceur virile qui permet d’aimer les imperfections… et les perfections. Mon Dieu, montre moi ta Gloire dans chaque homme que je rencontre.
Seigneur, dis-moi ce que tu veux que je fasse… que je le fasse.

dimanche 1 juillet 2007

Liberté

On peut distinguer différents types de liberté.
Le premier – celui le plus couramment entendu – est défini de façon essentiellement égocentrique – dans le sens premier du terme : centré sur le moi : être libre c’est faire ce que l’on veut. A ce stade – et sans plus de considération anthropologique (le plus souvent) « ce que l’on veut » fait référence à ses désirs superficiels, à ses sentiments, bref, à tout ce qui fluctue.

Un deuxième type est une définition essentiellement relative à l’autre : être libre consiste en ma capacité à discerner et vouloir ou ne pas vouloir vivre selon les règles d’une morale qui prend l’autre en compte. Le paradigme en étant sans doute la règle kantienne : que l’autre ne soit jamais un moyen, mais toujours une fin. C’est une morale de l’interdit, du « ne pas ». C’est une liberté dans laquelle on s’impose une contrainte, on bride ses sentiments, ses instincts, lorsqu’ils peuvent nuire à l’autre. N’est alors pas libre celui qui ne peut se dominer : la liberté prend une dimension intérieure absente de la précédente définition.

Un troisième type est une définition qui prend l’amour comme point de départ. Dans cette perspective, l’être humain est vu comme fait pour l’amour et la liberté est à poser comme un choix entre égoïsme et amour, accaparement et don (voire sacrifice), altruisme, ouverture. C’est un travail sur soi qui va tendre à unifier les sentiments, l’intelligence, la volonté, le cœur. Cette liberté-là ouvre à l’autre en harmonie de plus en plus profonde avec soi-même. Ce n’est pas une liberté facile, car il s’agit d’un vrai travail qui va à l’encontre de nos instinct égoïstes et cette fois-ci de façon plus proactive que dans la deuxième définition : on ne se contente pas de ne pas nuire à l’autre, mais notre liberté est perçue comme s’accomplissant dans l’exercice de l’amour des autres, or l’amour est quelque chose d’actif et de prévoyant, qui ne se contente pas de ne pas nuire, mais s’efforce de faire le bien. C’est une liberté qui commence à bâtir l’homme s’unifiant car tendant à bâtir l’unité autour de soi dans le même mouvement : amour et liberté ont alors totalement partie liée.

Enfin, le quatrième point de vue que l’on pourrait proposer est la liberté du serviteur, celle de l’évangile. Il s’agit alors de prendre conscience que notre liberté est un don de Dieu à accueillir. Une rencontre à faire au plus intime de soi-même, découvrir en nous celui qui nous connaît mieux que nous ne nous connaissons nous-mêmes, nous aime plus que nous ne nous aimons. Le guide sûr vers l’accomplissement de notre être, puisqu’il l’a créé et qu’il en est la finalité, mais qui de toujours nous veut libres comme ses fils, s’offrant à nous comme le serviteur souffrant, définissant l’amour comme le service à genoux. C’est alors une liberté qui n’est plus qu’accueil, où il s’agit de lâcher prise pour apprendre à tout recevoir de et à tout donner à celui qui donne et reçoit tout. Il s’agit de se dépouiller même des idées précédentes de la liberté – littéralement de se libérer de la liberté naturelle, qu’elle soit égoïste, morale ou altruiste, pour la recevoir entièrement – pauvre à l’extrême – pauvre même de soi, propriétaire de rien – et recevoir celui qui est plus que tout et qui frappe inlassablement à la porte de notre cœur pour pouvoir se donner à nous, celui qui au plus profond de son être, dans le mystère trinitaire, n’est que don, pauvreté, dépouillement d’amour. « Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu ». Et dans cette liberté suprême, reçue, les trois autres formes se retrouvent, parfaitement unifiée, la volonté, l’intelligence, les inclinations, la conscience morale se trouvant toute mues par le même moteur : le cœur de chair reçu de Dieu, à la place de notre cœur de pierre. Ces trois autres formes sont alors reçues comme un don nouveau, surnaturel.

Dans la deuxième forme de liberté, la première est tempérée. Dans la troisième elle est contredite – sur le fond tout au moins, c’est-à-dire sur ce qui motive l’action, dans la quatrième toutes sont abandonnées, de toutes nous sommes dépouillés pour les retrouver toutes, unifiées, transfigurées, car reçues.