dimanche 7 octobre 2007

Petit mot envoyé à nos gouvernants juste pour le plaisir... ou parce que ça soulage.

Paris, le 7 octobre 2007

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Madame le ministre,

Le rédacteur de cette lettre n’est que peu de choses face à l’immense appareil de l’Etat dont vous avez la charge, et je ne me fais par ailleurs pas trop d’illusion : vous ne lirez probablement jamais ces lignes. Plus probablement, et dans le meilleur des cas, un fonctionnaire de votre administration le fera et s’empressera de l’oublier. Peut-être aura-t-il raison, peut-être pas. Quoiqu’il en soit, je juge que mon devoir de citoyen est de dire ce que j’ai à dire sur le sujet – c’est plus ou moins le sens du mot « démocratie », je pense, et j’aurai au moins la conscience tranquille, ce qui n’a pas de prix. Je voudrais vous donner un point de vue sur la recherche française, un de plus !, sous forme de quelques points à méditer, si tant est que vous vous livriez un tant soit peu à cet exercice essentiel, surtout à votre niveau de responsabilité. J’imagine que la plupart de ces points vous ont déjà été soumis par plus compétent et plus autorisé que moi, mais sait-on jamais ? Je prétends livrer essentiellement le témoignage d’un chercheur qui a soutenu sa thèse il y a tout juste trois ans et a travaillé un an au Canada avant de revenir en France, et se demande parfois s’il n’a pas fait une grossière erreur. Si le pourquoi vous intéresse, lisez ces lignes. Sinon, en toute honnêteté, cela n’en vaut pas la peine.

Qu’est-ce que la recherche fondamentale ? Vaste question, et je n’ai pas la prétention d’en donner ici une définition. Il me semble, quoiqu’il en soit, que la recherche scientifique a pour objet l’avancée du Savoir et de la Connaissance. A chaque objet d’étude sa discipline et ses méthodes. Ainsi, le but premier de la recherche scientifique ne peut pas se décliner au premier chef suivant le thème de la rentabilité économique. Le but de la science n’est pas de faire de l’argent, pour parler clairement, mais d’améliorer nos connaissances, de donner une perspective à l’homme et de le servir, pas les retombées technologiques éventuelles. La recherche dite appliquée, qui traite de problèmes tout aussi complexe et peut conduire à des découvertes fondamentales, a elle pour premier objet de comprendre pour résoudre des problèmes pratiques. La limite entre ces deux branches de la recherche n’est pas toujours claire, en tout état de cause, et il n’y a pas une approche plus noble que l’autre, il n’y a que des objets différents.

Si l’objectif premier de la recherche n’est pas, et ne doit pas devenir, une question financière avant tout, il est par contre essentiel de mesurer l’impact à long terme de la recherche fondamentale. Impact totalement imprévisible, par définition même du mot recherche. C’est sans doute-là qu, psychologiquement, les choses sont les plus difficiles à intégrer pour des personnes ne connaissant rien à ce domaine (pardonnez cette franchise, mais ni vous, Monsieur le Président, ni vous, Madame le Ministre, n’avez un profil de chercheur scientifique). Et c’est d’autant plus difficile que la réalité de la recherche est l’incertitude, l’imprévisibilité, la liberté personnelle en acte, sans qu’aucune loi humaine ne puisse rien prescrire : aucun décret ne modifiera la loi de la gravitation, d’une part, ni ne permettra de combler le retard accumulé par un pays, d’autre part (par contre, il peut en faire prendre : la relation n’est pas du tout symétrique à ce niveau-là). Pour en revenir à la recherche fondamentale, qui aurait parié, au début du siècle dernier, quand Planck proposa la solution au problème que l’on appelle le « rayonnement du corps noir », qu’il allait s’ensuivre des développements théoriques tels que ceux qui ont mené à la mécanique quantique et, par suite, à toutes les nouvelles technologies qui ont envahit le monde moderne quelques décennies plus tard, au point que les applications de la mécanique quantique représentent aujourd’hui un tiers du PIB américain ? Pas grand monde, sans doute. La recherche fondamentale d’aujourd’hui représente l’avantage technologique d’un pays à moyen et surtout long terme, et la mettre à mal c’est se condamner à devenir une nation de second rang sur tous les fronts abandonnés. Tout retard pris dans ce domaine est extrêmement difficile à combler, par le fait même que perdre les compétences en recherche rime avec perdre les compétences en enseignement. Il y a donc un enjeu stratégique crucial à maintenir une recherche fondamentale de qualité pour notre pays, même s’il ne faut pas en attendre nécessairement de grandes retombées positives dans le temps d’un mandat : le rythme de la science n’est pas celui de la vie politique, mais représente par contre un bon test de la volonté réelle et de la vision à long terme de nos dirigeants. L’histoire jugera…

Je n’ai pas ici la prétention de donner un cours de gestion de la recherche d’un point de vue administratif : mes compétences ne m’y autorisent pas. Je n’ai, en fait, aucune intention de donner un cours sur quoi que ce soit, mais simplement de témoigner d’un certain nombre de choses vécues et entendues, et de livrer quelques réflexions sur le thème de la recherche, un peu tous azimuts. Chacun y lira ce qu’il voudra…

La recherche en France est organisée de façon originale, et l’originalité, en recherche, est une chose très importante et qu’il faut à tout prix entretenir, et encourager. Il y a deux points sur lesquels je voudrais attirer particulièrement votre attention. Le premier est la possibilité, de plus en plus rare, offerte aux chercheurs via le CNRS ou d’autres organismes de recherche, de se lancer dans des programmes à long terme et sur des sujets jugés parfois peu prometteurs sur le moment ou trop spéculatifs. C’est que la recherche a une forte dimension de prise de risque qu’il est plus difficile d’assumer, de la part du chercheur, sans garantie professionnelle suffisante. C’est la condition de la profondeur et de l’originalité des recherches entreprises. A ce titre, la France est l’un des rares pays à offrir une stabilité à long terme à ses chercheurs dès leur début de carrière. Autre point fort de la recherche française, la dimension communautaire. La notion même d’équipe de recherche a une importance particulière qui ne se retrouve pas dans d’autres pays sous la même forme. En Allemagne, les équipes qui peuvent être constituées sont à durée de vie limitée, alors qu’aux Etats-Unis les individualités priment. J’ai plus d’une fois entendu, en substance, un discours envieux envers cette dimension et les opportunités qu’elle ouvre, pour le peu qu’on veuille en profiter. Le fait-on suffisamment ? C’est une autre question. Je voudrais finir ce paragraphe en évoquant la plus importante originalité : celle des idées. La recherche est fondée sur la capacité à résoudre des problèmes non solubles par les méthodes traditionnelles, et donc sur la capacité de proposer des solutions originale – et rigoureuses, également : les deux vont de paire en recherche scientifique. Je ne sais plus qui disait qu’un chercheur c’est quelqu’un qui irait chercher les clefs de sa voiture dans le frigidaire…

Comparons un petit peu la situation d’un jeune chercheur en France et aux Etats-Unis. Ce sera assez bref, tant la différence est criante : un certain nombre de mes collègues, recrutés comme maître de conférence, se sont trouvés dépourvus de tout moyen de recherche pour démarrer leur projet – celui, accessoirement, pour lequel ils ont initialement été recrutés – au point que l’achat d’un ordinateur a pu devenir un vrai casse-tête pour certains, alors que dans le même temps, les chercheurs américains débutants reçoivent des sommes dont le seul nombre de zéros fait rêver n’importe quel chercheur, voire équipe de chercheurs !, français. De la même façon, le rapport niveau de salaire sur niveau de qualification est une véritable plaisanterie, pas très drôle cependant. Là encore, la comparaison avec les pays étrangers est bien souvent intenable. Penser que les chercheurs n’ont pas le droit de voir leurs compétences reconnues comme il se doit est soit de l’hypocrisie, soit de l’inconscience. Imaginer, de plus, que l’on fera cesser ainsi la fuite des cerveaux et la désaffection pour les sciences est aberrant. Certes, les aspects financiers, surtout en ce qui concerne la désaffection des étudiants, n’expliquent pas tout (l’appel de métiers moins exigeants intellectuellement et plus reconnus a certainement son importance, l’évolution des mentalités et des objectifs de vie personnels également, mais ce n’est pas le lieu de proposer une réflexion psycho-sociologique) mais y contribuent pour beaucoup, cela ne fait aucun doute. J’ai eu l’occasion de rencontrer des chercheurs français au Canada qui justifiaient ainsi leur établissement de l’autre côté de l’Atlantique. Des jeunes chercheurs travailleurs et compétents je peux en témoigner. Ils sont perdus pour la France.

Pour continuer sur le thème de la reconnaissance des chercheurs, le plus terrible, à mon sens, est le manque de respect qui leur a été témoigné dans la façon dont les propositions telles que celles du mouvement Sauvons La Recherche ont été reçues. Dans le cadre de ce mouvement, la communauté scientifique française a fait preuve d’une forte volonté de réforme et a dessiné les contours des décisions à prendre. Après tout, étant donné la forte particularité de la recherche (métier intellectuel et spéculatif nourri d’analyse et de réflexion), on peut s’attendre à ce que ceux là même qui la pratiquent soient capables d’en dresser l’état des lieux. Les chercheurs sont bien souvent des gens désintéressés financièrement, passionnés par leur sujet et entraînés à prendre du recul sur des problématiques complexes :ils semblent donc parfaitement armés pour se réformer. Encore faut-il leur faire confiance et les écouter… A ce titre, je ne crois pas que l’on puisse dire que ces dernières années aient été la démonstration d’une confiance sans faille témoignée envers les chercheurs. Mais la confiance se fonde sur la connaissance, et la connaissance profonde. Combien, parmi vos « vrais proches », sont chercheurs en science ? Je ne crois pas beaucoup à d’autre forme de connaissance, l’être humain étant ce qu’il est, il se méfie de ce qu’il ne connaît pas. Parfois, cette méfiance est dangereuse. En l’occurrence, elle me paraît mortelle.

Autre sujet délicat, l’idée qui a germé récemment de proposer aux étudiants en thèse une rémunération plus élevée (il serait temps ! L’état des lieux en la matière est une honte !) en échange de services de « consulting » aux entreprises. Les thèses françaises sont déjà trop courtes – seulement trois ans – et amputer le temps de recherche des thésards serait la garantie de nuire à leurs travaux. Ce temps consacré au consulting serait nécessairement pris sur le temps de recherche des forces vives de l’activité scientifique française, le rôle des thésards étant crucial dans la démarche de recherche moderne, les « seniors » étant bien souvent occupés à se perdre dans les aspects financiers et administratifs. Nous y reviendrons.

En terme de financement, c’est une pure tromperie de faire croire que les budgets alloués sous forme de crédit d’impôt ou autre astuce financière participent intégralement à l’effort de recherche. Force est de constater que les soucis des industriels ne sont pas ceux de la recherche fondamentale, on peut le regretter ou pas, mais le fait est que la situation française est radicalement différente de la situation américaine, par exemple. Un certain nombre de groupes (pharmaceutiques notamment) se font purement et simplement financer leur recherche par les fonds publiques via les ANR, notamment. D’autre part, sous le label « recherche » on retrouve des activités qui relèvent plutôt du développement, activité fondamentalement différente de la recherche : il y a ici une confusion bien commode pour présenter les bilans, mais qui masque en fait une situation réelle qui met en péril l’avenir de notre pays scientifiquement et industriellement, la recherche d’aujourd’hui, je me répéte, représentant les forces industrielles stratégiques de demain. Par-delà les discours, la réalité des faits parle. S’il est souhaitable de voir se développer le dialogue recherche/industrie, il est dangereux de vouloir le forcer artificiellement, et notamment en étranglant les budgets de secteurs ou de sujets de recherche qui ne sont pas mûrs pour ce genre d’échanges. En outre, c’est une perversion de la recherche elle-même, qui ne doit surtout pas devenir un appendice de l’organe industriel. La noblesse de l’homme se tient notamment dans la Connaissance pure. Tomber dans la confusion qui assimile technologie et science est dangereuse, à court terme pour la première et à plus ou moins long terme pour la seconde, qui ne pourra plus se nourrir d’une recherche moribonde.

Autre aspect quotidien de la recherche française : le sous effectif dramatique des personnels techniques – et des chercheurs – et gonflement du temps consacré aux aspects administratifs (par exemple, pour l’achat d’un disque dur d’ordinateur ou parfois d’un simple stylo, il faut en passer par des démarches qui poussent certains chercheurs à prendre sur leurs fonds personnels plutôt que de perdre du temps à remplir des formulaires et à attendre que la procédure suive son court, parfois incompatible avec l’exercice des activités de recherche. Ces aspects administratifs sont systématiquement pesants, en tout cas). Les conséquences paraissent évidentes : les chercheurs consacrent une partie non négligeable de leur temps à des activités sans rapport avec leurs fonctions ni avec leurs qualifications. Cela ne saurait, à terme, profiter à personne. Du moins en France.

Enfin, il semble important de souligner une idée toute simple : la recherche est un pari, une prise de risque, qui repose sur l’instinct des chercheurs, leur « sens physique », comme le dit l’expression consacrée, et l’élément crucial pour qu’elle puisse s’épanouir est de donner la plus grande liberté possible au chercheur. Ma pratique de la recherche m’a montré qu’en moyenne les gens qui pratiquent cette profession sont passionnés par leur travail et portent un regard lucide sur leurs responsabilités. Oserez-vous vous lancer, à votre mesure et selon votre fonction, dans cette aventure ? Pour le bien de tous, je l’espère sincèrement.

Monsieur le Président, Madame le ministre, je finis ces quelques mots en soulignant que j’ai essentiellement abordé les « questions qui fâchent »… J’aurais pu en aborder d’autres, de la responsabilité des chercheurs face à la société à l’évaluation du personnel de la recherche, questions tout aussi essentielles… Mais je ne crois pas qu’elles revêtent un caractère d’urgence aussi fort que les points que j’ai évoqués… encore que.

En vous souhaitant bonne réception de ce courrier et en formulant des vœux de succès sincères et chaleureux pour votre Mandat, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, Madame le Ministre, mes plus respectueuses salutations,